jeudi 28 août 2008

Lu, entendu, vu cet été

Détail de la couverture de David Pearson pour Récit de Lune de Guo Songfen (Zulma)

Cet été, de nouvelles traductions de littérature taiwanaise contemporaine sont apparues chez les libraires. Un très joli livre de Guo Songfen 郭松芬 (1938-2005), Récit de lune 月吟 traduit par Marie Laureillard, chez Zulma. C’est l’histoire triste de Tiemin, atteint de tuberculose, soigné par sa jeune épouse Wenhui qui n’obtiendra guère de reconnaissance de la part de son mari pour son dévouement. Pris par l’action politique dans laquelle il se lance à corps perdu malgré sa maladie, Tiemin la délaisse peu à peu. L’histoire se passe juste au moment de la rétrocession de Taiwan à la Chine, après la défaite japonaise de 1945. Le texte, très bien traduit, est rempli de mélancolie et de force poétique. La discrète sensualité qui se dégage de l’évocation des pensées de la jeune épouse frustrée est remarquable. Un court roman qui apporte aussi une description de l’atmosphère qui régnait dans l’île au cours de ces années d’après-guerre. Une présentation agréable, une traduction et des notes soignées, la découverte d’un auteur inconnu, que demander de plus ?

Un autre roman taiwanais, de Ping Lu 平路, est sorti au Mercure de France, Le Dernier Amour de Sun Yat-sen, en chinois 行道天涯, traduit par Emmanuelle Péchenart. Là aussi, un livre très bien présenté, bien traduit, qui met en parallèle les derniers mois de la vie de Sun Yat-sen avec les dernières années de la vie de sa jeune épouse, Song Qingling. Ce roman montre deux êtres, célébrissimes dans le monde chinois, dans toute la vérité de leur déchéance progressive, en raison de la maladie pour lui, de la vieillesse pour elle. Ils deviennent des êtres humains ordinaires sous la plume de l’auteur. Un roman historique qui met en scène des personnages que l’on découvre sous un jour nouveau. J’ai pensé en lisant ce livre à l’excellent roman de Jean Echenoz, Ravel, qui évoque les dernières années de la vie du grand compositeur français dans leur quotidienneté.


Dans les choses « entendues » cet été, j’ai été étonné par le commentaire d’un certain M. Wang, ancien diplomate chinois en poste à Paris, lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Pékin retransmise à la télévision [France 2], expliquant la signification du drapeau rouge à cinq étoiles de la république populaire de Chine. Il a affirmé que la grande étoile jaune représentait l’ethnie han, tandis que les quatre autres représentaient les principales ethnies minoritaires de Chine. Hum, hum, est-ce donc que les Han seraient plus grands que les autres ? Et y aurait-il des ethnies plus importantes que d’autres… Je me souvenais très bien que mon collègue et ami Roland Breton, géographe distingué et également « vexicologue » (spécialiste des drapeaux), m’avait appris que la grand étoile représentait le Parti communiste chinois entouré des quatre classes sociales ayant soutenu le programme commun du Parti communiste chinois en 1949 : les paysans, les ouvriers, les classes moyennes et les capitalistes nationaux (et non les capitalistes « compradores » qui ont vendu leur pays aux étrangers). Naturellement, pendant la Révolution culturelle, cette explication n’a plus été de mise et l’on ne parle plus que de la grande étoile symbolisant le parti communiste et des quatre autres étoiles symbolisant « l’union du peuple tout entier ». Un peu plus tard, le même M. Wang affirmait que les enfants habillés en costumes des différentes minorités ethniques (la presse occidentale a ensuite affirmé que ces enfants étaient des Han portant les costumes des ethnies minoritaires) étaient en train de chanter l’hymne national… que je n’arrivais pas à reconnaître, et pour cause, car ce n’était pas du tout celui-ci. En fait, il a bien été chanté lors de cette cérémonie, mais un peu plus tard, et par une autre chorale.

Parmi les choses « vues », j’ai été surpris et heureux de trouver sur le lieu de mes vacances une place dédiée à Marcel Granet, sinologue, qui est né dans cette charmante petite ville… Si quelqu’un veut savoir où j’ai passé mes vacances, il lui suffit de se référer à une biographie du grand sinologue français !

Cliché ND.

Pour revenir à des choses « lues », j’ai beaucoup apprécié cet été les suppléments du Monde au sujet des Jeux olympiques avec des papiers de différents journalistes, souvent très intéressants et savoureux. On a même pu lire des interviews d’écrivains non officiels comme Liu Xiaobo 刘晓波 ou Ma Jian 马建 dont vient de paraître en France un roman qu’il a mis dix ans à écrire, Beijing coma, traduit de l’anglais par Constance de Saint-Mont aux éditions Flammarion.

Évidemment, je n’ai pas pu être d’accord avec un éditeur pékinois anonyme qui affirme, cité par Sylvie Kauffmann, que « la littérature chinoise contemporaine n’est pas au mieux de sa forme, dans un régime où la création est strictement encadrée, et où on lit de moins en moins de livres ». Je continue à penser que la littérature contemporaine en langue chinoise dans son ensemble, et en Chine continentale en particulier, est l’une des plus riches du monde. Le fait qu’on lise de moins en moins de livres n’empêche pas de très nombreux lecteurs chinois de dévorer des romans sur Internet et d’acheter des livres qui deviennent des best-sellers comme Brothers, 兄弟 de Yu Hua 余华, Le Totem du loup 狼图腾 de Jiang Rong 姜戎 et bien d’autres.

Dans Le Monde encore cet été, est paru en feuilleton Cité de la Poussière rouge de Qiu Xiaolong traduit de l’anglais par Fanchita Gonzalez Battle. Ce sont de courts textes, véritables tranches de vie quotidienne dans la Chine contemporaine depuis la Révolution culturelle jusqu’à 2005. Qiu Xiaolong nous avait habitués à ses romans policiers toujours bien ficelés, là, il évoque la réalité quotidienne avec le même talent. L’ensemble des textes sortira prochainement aux éditions Liana Levi.

Le Figaro, quant à lui, avait choisi de publier tout au long du mois d’août des textes écrits par de grands écrivains étrangers commençant tous par la même phrase de l’Odyssée d’Homère : « Ulysse prit le sentier rocailleux qui monte à travers bois, du port vers la falaise. Il allait vers l’endroit qu’avait dit Athéna… » Et c’est Mo Yan 莫言 qui a clos la série le 18 août avec un texte plein d’humour intitulé Le Vieil Homme et le Château bleu 蓝色城堡 traduit par votre serviteur et Liliane Dutrait, accessible sur Internet.

Voilà, si vous avez trouvé où j’ai passé mes vacances, vous aurez compris que je ne suis pas allé en Chine… en tous cas pas physiquement ! J’y ai pourtant passé de nombreuses heures, grâce à ces lectures, et aussi parce que, avec Liliane Dutrait, nous avons enfin achevé la traduction des Quarante et un coups de canon 四十一炮, de Mo Yan, ce qui nous a permis encore de passer de fabuleux moments avec le grand écrivain, en le traduisant, en relisant la traduction, et en découvrant ses réponses toujours rapides et complètes à nos courriers électroniques lorsque nous avions besoin d’en savoir plus sur telle ou telle expression ou particularité locale. (À paraître aux éditions du Seuil à l’automne.)

Profitons-en pour signaler que Mo Yan vient de remporter le prix du roman Le Rêve du pavillon rouge de la Hong Kong Baptist University 香港浸会大学 pour son roman Shengsi pilao 生死疲劳, dont la traduction en français doit sortir l’année prochaine aux éditions du Seuil, dans une traduction de Chantal Chen-Andro. Ce prix, le plus richement doté de tous les prix littéraires de littérature contemporaine en chinois, récompense le meilleur long roman (长篇小说) écrit en langue chinoise. On peut lire à ce sujet l’intéressant reportage du Yazhou zhoukan 亚洲周刊 du 17 août 2008.

Et vous, dans quelle littérature d’Asie vous êtes-vous plongés ? Quels livres nous recommandez-vous ? Les traductions ne manquent pas actuellement dans le domaine des littératures coréenne, japonaise, indienne, chinoise ou vietnamienne… Des conseils de lecture pour l’automne et l’hiver seront les bienvenus. Noël Dutrait, 28 août 2008.

mercredi 27 août 2008

Réponse à la devinette estivale

Il s'agissait, rappelez-vous, de trouver duquel des livres signalés dans un choix de lectures estivales provenait une intéressante citation concernant la lecture. L'illustration retenue pour le billet qui proposait cette innocente devinette estivale aurait pu vous mettre sur la piste car le célèbre tableau intitulé « La lectrice » peint par Jean-Honoré Fragonard (1732-1806) en 1770-1772 avait plus de vingt ans quand ces lignes furent écrites par Ann Radcliffe (1764-1823) dans Les Mystères d'Udolphe, soit à peine plus que l'âge d'Emilie, l'héroïne de ce chef-d'œuvre du roman gothique : The Mysteries of Udolpho (1794).

Pour ceux qui n'auraient pas été séduits par la traduction de Victorine de Chastenay (1797) proposée dans le volume n° 3493 de la collection « Folio classique » (Gallimard, 2001. Edition de Maurice Lévy, 904 pages, p. 515) voici la version originale :
« Emily sought to lose the sense of her own cares, in the visionary scenes of the poet; but she had again to lament the irresistible force of circumstances over the taste and powers of the mind; and that it requires a spirit at ease to be sensible even to the abstract pleasures of pure intellect. The enthusiasm of genius, with all its pictured scenes, now appeared cold, and dim. As she mused upon the book before her, she involuntarily exclaimed, 'Are these, indeed, the passages, that have so often given me exquisite delight? Where did the charm exist?-- Was it in my mind, or in the imagination of the poet? It lived in each,' said she, pausing. 'But the fire of the poet is vain, if the mind of his reader is not tempered like his own, however it may be inferior to his in power.' »
Le roman d'Ann Radcliffe qui plut aussi bien à Jane Austen (1775-1817) qu'à une pléiade d'écrivains dont Balzac, Hugo et Nodier (voir l'érudite préface de Maurice Lévy, pp. 7-44, notamment page 8), inspira sitôt publié au C. Alexandre D[uval] (1767-1842), un « Drame en cinq actes et en prose » intitulé Montoni ou Le château d'Udolphe publié en l'An VI (1795-1796). Les plus curieux peuvent aller le lire sur Gallica.

On peut aussi faire l'économie de cette lecture très datée pour se consacrer entièrement à l'œuvre initiale. En effet, il n'y a plus de temps à perdre à quelque cinq jours de la rentrée. La prochaine devinette qui portera le numéro 16 et les suivantes devraient être plus directement orientées vers la littérature chinoise ancienne et ceux qui ont contribué à mieux la faire connaître chez nous. (P.K.)

mercredi 20 août 2008

Si peu de Ci


Le hasard m'a mis en main l'ouvrage suivant :

Gonthier WEIL, Jean CHASSARD,
Les grandes dates des littératures étrangères.
Paris : PUF, 1969, coll. « Que sais-je ? », n° 1350.

qui en 128 pages parcourt « l'énorme production littéraire accumulée, « depuis sept mille ans qu'il y a des hommes et qui pensent » » (p. 7), et recense les ouvrages apparus entre le XXXe s. av. J.-C. (!) et 1968, soit du « Chou king » jusqu'à Kawabata Yasunari 川端康成 (11 juin 1899-16 avril 1972) pour la date d'obtention du Prix Nobel de littérature par l'auteur des Belles Endormies (Nemureru bijo 眠れる美女, 1961). L'ouvrage est offert comme un complément à Arsène CHASSANG, Charles SENNINGER, Les grandes dates de la littérature française. Paris : PUF, 1969, coll. « Que sais-je ? », n° 1346.

Ses auteurs ont retenu « toute œuvre de renommée internationale qui a subi victorieusement l'épreuve du temps », plus « des productions de valeur peut-être moins universelle, mais particulièrement représentatives d'un pays et d'une époque » et enfin des « ouvrages qui, à un moment donné, ont connu une exceptionnelle faveur, même lorsque la postérité n'a pas toujours ratifié le jugement des contemporains » (p. 5). L'origine des œuvres des 74 pays pris en compte est facilement repérable grâce à un code : Ja pour Japon (quelque 62 œuvres), In pour Indes (deux douzaines d'œuvres), pour Corée (quatre œuvres), Vn pour Viêt-nam (quatre œuvres), Ci pour la Chine -- ceci explique pourquoi ce billet rédigé le 20-08-2008 (!) a pris pour titre « Si peu de Ci », car la Chine n'apporte avec un total de 70 titres que 2,33 % des grandes dates de la littérature mondiale. Celles-ci se répartissent de la manière suivante : une cinquantaine pour la période d'avant 1911 et pas moins de 21 pour la période allant de 1918 à 1958.

A chacun d'évaluer maintenant le résultat obtenu pour la littérature chinoise en fonction de ses compétences et de ses goûts. Notons que ce survol trahit l'époque à laquelle il a été constitué et souffre de l'absence d'une véritable histoire de la littérature chinoise. Sachez, enfin, que « les œuvres dont la date de parution ne peut être précisée sont signalées à la date du décès de l'auteur dont le nom est précédé du signe + » (p. 7) :
Période avant Jésus-Christ

XXXe s. - Le Chou king : livre des documents (jusqu'au VIIe s).
XIIe s. - Les Rites des Tcheou (relatifs aux rites chinois anciens).
Xe s. - Le Che-king (livre des vers ; le plus ancien recueil littéraire).
VIIe s. - Le Tch'ouen-ts'ieou (les Annales).
VIe s. - Le Livre du Tao et de sa vertu (Lao Tseu). Discours des Royaumes (Tso K'ieou-ming). Livre de la Piété filiale (Tseng Tseu).
Ve s. - Dialogues ou Entretiens (Confucius). Les Printemps et Automnes (chronique attribuée à Confucius). La Grande Etude. L'Invariable Milieu (K'ong Ki alias Tseu Sseu).
420 - Le Mô King : le Livre canonique de Mô (Mô-Tseu).
IVe s. - Le Livre du maître Tchouang (Tchouang Tcheou).
IIIe s. - Le Livre du maître Han Fei (Han Fei).
289 - Le Livre de maître Mong (Mong Tseû ou Mencius).
285 - Douleur de l'éloignement ou Tomber dans l'infortune (K'iu Yuan). Le Tch'ou ts'eu : Elégies du pays de Tch'ou. Le Li-Sao (Song-Yu).
IIe s. - Le "Fou" du palais Chang-men (Sseû-ma Siang-jou). Le Che ki : Mémoires historiques (Sseû-ma Ts'ien). Le Hibou (Kia Yi).
122 - Le Livre du maître de Houai-nan (Lieou Ngan).

Période après Jésus-Christ

IIe s. - Les Dix-Neuf Poèmes antiques. Le poème : Vers le Sud-Est un paon s'envole.
330 - Le Pao-p'ou tseu : le Livre du maître Pao P'ou (Ko Hong). Biographies des immortels (Ko Hong).
427 - Retour à la vie champêtre (+ T'ao Yuang-Ming).
530 - Florilèges de la littérature (Siao T'ong).
762 - Recueil de poésies (Li T'ai-po).
770 - Œuvres (Tou-Fou).
824 - Œuvres (Han Yû).
846 - Recueil de poésies (Po Kiu-Yi).
XIe s. - Œuvres (Sou Che).
1077 - Livres des principes de divination appliqués à l'évolution historique (Chao Yong).
XIIe s. - Recueil complet du maître Tchou (Tchou-Hi).
XIIIe s. - Le Pavillon de l'Ouest (Wang Che-Fou). L'Orphelin de la Famille Tchao (Chi Chun-hsiang). Le Rivage (Che Nai-ngan).
1368 - La Guitare (Kao-Ming).
XIVe s. - Récits de l'histoire des trois royaumes (Lo Kouan-tchong).
1550 - Kin P'ing Mei (roman de mœurs, auteur inconnu). Mémoires d'un voyage en Occident (Wou Tch'eng-ên).
1617 - Le pavillon des pivoines (+ T'ang Hien-tsou).
1699 - L'Eventail aux fleurs de pêcher (K'ong Changjen).
1715 - Contes fantastiques du studio Leao (P'ou Song-ling).
1754 - Histoire privée des lettrés (Wou King-Tseu).
1764 - Le Songe du pavillon rouge (Ts'ao Siue-kin, jus. 1792).
1905 - Ce que l'on peut voir dans le monde des mandarins (Li Po-yuan).

[Epoque moderne]

1918 - Journal d'un fou (Lou Siun).
1919 - Histoire de la littérature en langue parlée. Histoire de la philosophie chinoise (Hou Che).
1921 - La Véritable Histoire de Ah Q (Lou Siun).
1924 - Che-mo Che-ki (Hiu-Che-mo).
1927 - L'Eclipse (Mao Touen). Nuit à Florence (Siu Tche-Mo).
1928 - Le Journal de Mlle Cha-fei (Ting-Ling). Feuilles tombées (Kouo Mo-jo).
1929 - Eau morte (Wen Yi-Touo).
1930 - Chat noir (Kouo Mo-jo).
1931 - La Famille (Pa Kin).
1936 - Le Lever du soleil (Ts'ao Yu).
1937 - Le Chameau (Lao Tche). La Terre sauvage (Ts'ao Yu). Le Pont de Mario Paulo (T'ien Han).
1942 - K'iu Yuan (Kouo Mo-jo).
1946 - Quatre Générations sous un même toit (Lao Che).
1947 - Voyage dans les nuages (Siu Tche-Mo, posth.).
1951 - La Nouvelle Démocratie (Mao Tsé-toung).
1958 - Dix-Huit Poèmes (Mao Tsé-toung).
N'hésitez pas à communiquer en commentaire vos réactions et à proposer les nombreuses corrections (transcriptions, titres originaux, datation, attribution) et ajouts qui s'imposent, voire à suggérer des éliminations.

Témoin d'une époque, donc, se livre peut-il encore rendre service ? Sans doute oui, en guise de mémo pour une expérience personnelle de la découverte des littératures étrangères. Acheté d'occasion, mon exemplaire porte en effet beaucoup d'annotations au crayon de papier : dates ajoutées, passages des micro-biographies et titres d'œuvres soulignés, pour certains gratifiés d'une ou deux, voire de trois croix dans la marge -- assurément une évaluation du plaisir procuré par la lecture : si son ancien propriétaire a effectivement lu tous ces ouvrages, c'était un lecteur athlétique et un fin connaisseur de la littérature mondiale sans grande prédilection pour la littérature asiatique, mis à part japonaise.

Une autre vertu de ce livre, qui malgré ses lacunes donne le vertige, est de faire des rapprochement inattendus, comme pour l'année 1931, avec le Jia 家 de Bajin 巴金(Famille de Pa Kin (1904-2005) et le Tropique of Cancer d'Henry Miller, lui aussi un athlétique lecteur ------ que ceux qui comme Pierre Assouline n'ont pas été séduit par Les livres de ma vie (1952) regarde son Bathroom monologue sur YouTube. Il y est question, entre autres, de Tanizaki Jun'ichirô 谷崎潤一郎 (1886-1965). Mais dépêchez-vous d'en profiter, la rentrée approche à grands pas. (P.K.)

P.S. : En fait, Jia date de 1933 et le Tropique of Cancer de 1934 !

jeudi 31 juillet 2008

Enfer chinois (03-b)

« A l'heure de la toilette... »
IX° des dix gravures de Wang Chao Ki 王紹吉,
pour La Folle d'amour (Editions du Siao, 1949 - You-Feng, 2005, p. 84).

On doit aux Editions You-Feng (Paris, 2005) d'avoir rendu largement accessible un livre que seuls quelques rares collectionneurs pouvaient encore consulter -- sachez qu'il vous en coûterait 350 euros pour vous rendre acquéreur de l'un des 204 exemplaires tirés sur « pages volantes sous couverture rempliée, chemise et étui cartonnés », dans un format 30 x 22 par les Editions du Siao en 1949. Pour beaucoup moins, soit 13,5 €, mais dans un format réduit (22,5 x 20 cm), l'éditeur-libraire du 45, rue Monsieur-le-Prince (Paris VI) a donc fait revivre dans ce qui semble être sa mise en page d'origine avec les dix illustrations de Wang Chao Ki [alias Ouang Shao Ki, soit Wang Shaoji 王紹吉, peintre originaire du Sichuan] l'ouvrage de 119 pages suivant :
Lo Mengli. La Folle d'amour.
Confession d'une chinoise du XVIIIe siècle.
Adapté et préfacé par Lucie Paul-Margueritte.

Ce qui m'invite à vous le signaler trois ans après sa parution, c'est qu'il n'est pas sans rapport avec deux des sujets de prédilection de ce blog, savoir la littérature chinoise des temps anciens et les traductions françaises de cette même littérature, mais aussi que c’est un avatar intéressant et surprenant du Chipozi zhuan 癡婆子傳, roman qui a fait l'objet d'un billet de la série « Enfer chinois » (n° 03-a).

Sans un examen plus approfondi, il est risqué de dire d'où proviennent les plus criantes distorsions avec l'œuvre originale :
  • d’une version différente du texte source ? Lucie Paul-Margueritte (née en 1886) explique à son lecteur que l'œuvre qu'elle lui propose est « interdite en Chine. Par un de nos représentants, nous avons pu nous procurer ce texte que les Chinois érudits font parfois imprimer clandestinement, et dans un très petit format, afin de pouvoir le dissimuler aisément. l'exemplaire qui me parvint n'était guère plus grand qu'un carnet de papier à cigarettes. Un agent des mœurs l'avait cueilli, me dit-on, dans le revers de manche d'un mandarin lettré. Cette œuvre était signée d'un pseudonyme [...], et le style, très classique, était d'un bon auteur. » (p. 5)
  • le mode opératoire utilisé ? Lucie Paul-Margueritte indique avoir réalisé la traduction de La Folle d'amour avec « un grand érudit », le même avec lequel elle avait déjà travaillé vingt ans plus tôt, et avoue que « l'entreprise était délicate : la narratrice, complaisement, s'attarde sur ses brûlants souvenirs, et elle ne nous épargne l'aveu d'aucune de ses faiblesses, mais ses confidences scabreuses sont émaillées de poèmes de la bonne époque, et leur citation opportune vient agréablement poétiser l'instant d'aberration minutieusement décrit. Et, pour que la morale soit honorée, malgré tout, l'immorale héroïne se repent finalement et se fait ermite, ainsi le diable, en vieillissant. Quoiqu'il en soit, cette œuvre est des moins édifiantes ; j'ai hésité à la publier, et j'estime que si elle mérite d'être imprimée pour quelques-uns, elle doit être gardée dans l'Enfer des Bibliothèques. » (p. 6)
Le résultat pourrait rebuter, sinon faire sourire, celui qui vient de lire Vie d'une amoureuse, mais il est, justement grâce à tous ses défauts et ses zones d'ombre, digne d'intérêt pour l'historien de la traduction. Ce livre constituera donc un objet d'étude de choix pour le petit groupe de travail sur les traductions françaises de littérature chinoise ancienne qui se mettra en place à la rentrée. Celui-ci s'attachera aussi aux autres titres signés par Lucie Paul-Marguerite. En effet, Lucie Paul-Marguerite ne s'est pas contentée de cette Folle d'amour ; elle a adapté plusieurs autres écrits chinois : en plus du Ji Yun, déjà signalé, on peut lire, toujours grâce aux Editions You-Feng (2005), Ts'ing Ngai ou les Plaisirs contrariés. Conte chinois ancien Adapté des Kin-kou-ki-kouan (1927) et une version assez personnelle du Ershisi xiao 二十四孝 avec Amour filial. Légendes chinoises. Les vingt-quatre exemples de Pitié filiale (Editions du Siao, 1929).

Le passage suivant tiré de La Folle d’amour fournit, me semble-t-il, une piste pour envisager la manière somme toute assez « confuse » dont usait Lucie Paul-Margueritte pour toucher son lecteur sans le choquer :
« Elle soupira et se lança, l'infortunée, dans des explications d'autant plus confuses qu'elle essayait de les rendre décentes sur un terrain qui l'est fort peu. Pour me faire, en quelque sorte, toucher du doigt le « t'ou », sexe de l'homme, et m'en suggérer l'aspect, elle évoqua tour à tour, un reptile, la queue d'un scorpion, le pilon qui sert à décortiquer le riz, le poinçon dont on perfore les feuillets d'un livre. Enfin elle dressa, devant mes yeux agrandis d'effroi, une lame de poignard et le sabre avec sa coquille. Elle évoqua aussi le « wo », sexe féminin, conque marine, rose coquillage, pastèque ouverte, fleur vivante, creux humide et tiède qui recèle, en ses profondeurs, un pistil que vient féconder la semence, par l'office du pilon, du poignard, du poinçon, et du sabre enfoncé jusqu'à la garde. » (p. 23-24)
Pour élucider le « t'ou » [tu 凸] et le « wo » [ao 凹], on se reportera au billet « Enfer chinois » (n° 03-a) et aux pages 25 et 26 de Vie d'une amoureuse ou, pourquoi pas, au texte original [ici]. (P.K.)

mercredi 30 juillet 2008

Ombres électriques chinoises sur Télé Campus

Le 12 juin dernier s'est tenue à l'Université de Provence (Aix-en-Provence, Centre des lettres et sciences humaines, salle des professeurs) une Journée doctorale en Langues, Lettres et Arts sur le thème : « Autour du cinéma, réflexions et études de cas ». (Voir le programme complet)

On peut désormais accéder aux vidéos qui ont été réalisées à cette occasion. Elles ont été mises en ligne sur Télé Campus Provence par Lignes de fuite qui est l’association organisatrice créée en juillet 2004 à l’initiative de doctorants et docteurs en études cinématographiques et audiovisuelles de l’Université de Provence.

Parmi les huit doctorants ayant répondu à l'appel, deux méritent particulièrement toute notre attention puisqu'ils participent aux travaux de notre équipe (voir notamment le compte-rendu de notre journée sur la traduction des langues et des littératures asiatiques qui s'est tenue le 26 octobre 2007) et ont consacré leur intervention au cinéma chinois :
  • Solange Cruveillé. Doctorante en sinologie et membre associé de l’équipe « Littérature d’Extrême-Orient : Textes et Traduction » de l’Université de Provence, Solange Cruveillé a récemment traduit les deux premiers tomes de l’épopée chevaleresque chinoise Tigre et Dragon de Wang Dulu 王度盧. (voir nos C.R. sur ce blog). Sa communication, intitulée « La traduction au cinéma : fidélité, libertés et transcription (Tigre et Dragon, Ang Lee, 2000) », propose « de réfléchir autour de l’adaptation cinématographique d’un roman de kungfu chinois (wuxia xiaoshuo 武俠言情小說) écrit dans les années 50 par Wang Dulu un auteur prolifique du genre : le film Tigre et Dragon de Ang Lee 李安 sorti en 2000. Il sera d’abord intéressant de situer ce roman dans la pentalogie littéraire à laquelle il est rattaché. Puis nous pourrons discuter de l’adaptation et de ce que cela implique quand il est question de respecter un genre littéraire, le style d’un auteur, l’intrigue et les différentes facettes des personnages. Enfin, nous nous intéresserons à une autre étape capitale dans le succès et l’accueil d’un film : sa traduction dans la langue maternelle des spectateurs visés, dans notre cas la traduction française. » Pour la voir sur Télé Campus Provence, cliquez ici.
  • Paolo Magagnin est doctorant en littérature chinoise moderne et traduction (Université Ca’ Foscari, Venise et Université de Provence, Aix-en-Provence). Sa communication avait pour titre « Lecture, relecture, réécriture : la littérarité des films de Wong Kar-wai » : « Le style du réalisateur chinois/hongkongais Wong Kar-wai 王家衛 se nourrit constamment de la lecture de modèles littéraires orientaux et occidentaux. Au-delà des thématiques reprises dans ses films, la littérarité du cinéma de Wong Kar-Wai émerge sur d’autres plans, ceux de la structure filmique et de la technique narrative. A travers l’analyse comparée des modèles et des techniques littéraires ainsi que de leurs réalisations cinématographiques, il sera mis en lumière la nature intermédiatique et puissamment créatrice de ses films ». Pour la voir sur Télé Campus Provence, cliquez ici.
Qui osera dire, maintenant, que je n'aime pas le cinéma ? (P.K.)

mardi 29 juillet 2008

Devinette estivale


La citation à identifier provient d'un des ouvrages signalés dans le billet « Lectures estivales (été 2008) » que Jacqueline Nivard a eu la gentillesse de signaler (ici) dans son indispensable Electrodoc.

La voici :
E[lle] chercha à oublier ses inquiétudes en se livrant aux scènes imaginaires que les poètes ont aimé à peindre. Elle put encore s'apercevoir de l'irrésistible empire du moment sur le goût et les facultés. Il faut que l'esprit soit libre, pour goûter même les plaisirs les plus abstraits. L'enthousiasme du génie, les peintures les plus vives, lui paraissaient froides et sombres. Pendant qu'elle tenait son livre, elle s'écria involontairement : « Sont-ce donc là ces passages que je lisais avec délices ! Où donc en existait le charme ? Etait-ce dans mon esprit, ou dans celui du poète ? C'était dans tous les deux, dit-elle, après un instant de silence. Mais le feu du poète est inutile, si l'esprit de son lecteur n'est pas monté au ton du sien, quelque inférieur que d'ailleurs il lui soit. »
La solution dans un mois. (P.K.)

lundi 30 juin 2008

Trêve estivale (été 2008)

En utilisant les mêmes outils qu'en 2007 à la même période, je suis en mesure de vous donner des informations chiffrées sur votre blog préféré : en 12 mois, savoir depuis le 30 juin 2007, celui-ci est passé du 1 221 083ème rang des blogs recensés par Technorati au 797,172ème rang (le 26/06/08), soit un bond de 423 911 places dans le palmarès mondial.

Un coup d'œil sur le nuage de mots ci-dessus (26/06/08) - les « Top Tags » pour parler la « blogolangue » - donnera une vague idée de ce dont il a traité récemment. Le même outil de surveillance a également repéré les blogs qui ont inscrit d'une manière plus ou moins visible notre adresse dans leurs colonnes : c'est le cas notamment du blog du Visage vert – dont l’excellent n° 15 vient de paraître - à qui, vous l’avez sans doute noté, j'ai rendu la politesse (voir notre colonne de gauche).

A la fin de ce mois, notre compteur Sitemeter a dépassé les 23600 visites, dont l'essentiel, soit quelque 20000, ont été réalisées pendant l'année écoulée, et ceci toujours en provenance essentiellement de France mais aussi de tous les continents avec des visites à nouveau possibles, depuis la Chine --- difficile à dire si c’est la proximité des J.O. de Pékin ou l'impact de la dramatique catastrophe du Sichuan qui ont émoussé le contrôle des autorités ou bien une nouvelle stratégie comme le suggère Danwei.org ? Le livre que Pierre Haski vient de publier sur le sujet (Internet et la Chine. Seuil) devrait donner des indications sur le pourquoi et le comment les autorités surveillent et contrôle la toile. Mais ceci est un autre sujet.

Relevé Sitemeter, du 29/07/08 à 22h00.

Revenons à nos moutons, et à notre rythme mensuel de croisière qui est de 2000 visites uniques et de quelque 3000 pages visionnées - nos pages portent chacune 10 billets ; en tout, j'en ai, sans compter celui-ci, posté 187 depuis l'ouverture du blog le 18/11/2006. Depuis juin 2007, ce sont 114 billets qui ont été ainsi publiés - soit en moyenne, dix par mois : il vous suffit pour savoir à qui vous les devez et à qui vous plaindre de leur contenu, de décoder les initiales figurant entre parenthèses à la fin du billet ; la liste des collaborateurs effectifs et potentiels se trouve en haut de la colonne de gauche. A l’avenir, certains billets pourraient, comme on nous la conseillé, porter un résumé en anglais afin d’en faciliter l’accès à nos amis anglophones, voire même migrer vers le site de notre équipe dont le grand toilettage interviendra en septembre 2008.

Pour ce qui est du nombre des commentaires, il est extraordinairement et dramatiquement faible !, et personnellement je ne sais quelle conclusion tirer de cette désaffection. Seuls les trois ou quatre fidèles des devinettes actionnent une procédure pourtant fort simple pour en délivrer un -- c'est, du reste, ce qui m'invite à poursuivre la rubrique « Devinette » dont l'intérêt est loin d'être avéré.

Sachez, tout de même, qu'à n'importe quel moment vous pouvez intervenir pour réagir à des présentations qui sont parfois volontairement provocatrices --- peut-être, pas suffisamment : je vais, sans doute être contraint de radicaliser mon discours et d'appliquer la « méthode Kubin » qui a montré son efficacité. Ne vous en étonnez pas et réagissez.

Avant de vous laisser briser le silence, je voulais vous avertir d'une décision qui conduira ma pratique personnelle de ce blog pour l'année universitaire prochaine : si je compte bien continuer d'assurer la publicité des activités de l'équipe, je m'en tiendrai dorénavant à mon domaine de prédilection - la littérature chinoise ancienne, mon projet d’inventaire des traductions françaises de littérature chinoise, l'actualité de la traduction en général, et qui sait, de temps en temps, une devinette - si vous en voulez encore - ; ceci implique que j'abandonne à plus motivé et surtout plus compétent le suivi de l'actualité éditoriale dans le domaine contemporain et naturellement tout ce qui ne touche pas directement à la Chine ; je fais le pari que le rythme de publication n'en sera pas sérieusement affecté ! Je ne prends pas trop de risque dans la mesure où notre équipe, qui ne va plus tarder à enfiler ses nouveaux atours, s'est agrandie et comptera bientôt pas moins d'une douzaine de membres désireux de vous tenir au courant de l'activité littéraire dans son domaine propre : vous avez de la chance !

Lire à l'ombre de la Cité Interdite, Pékin (14/09/06, P.K.)

Je voudrais conclure ce rapide bilan par un appel solennel en direction des éditeurs, des directeurs de collection, voire des fortunés mécènes qui nous lisent. Cet appel vise à obtenir un soutien logistique qui pourrait se concrétiser par l'envoi des livres qu’ils publient en service de presse ou, la cession gracieuse de leurs archives, lesquels nous rendraient, individuellement et collectivement, la vie plus douce.

En effet, malgré la grande diligence de notre avant poste à la Bibliothèque universitaire, Jean-Luc Bidaux, lequel ne manque aucunes des nombreuses nouveautés dont nous pourrions faire état dans nos modestes colonnes, nous souffrons d'un retard très conséquent dans l'accès direct aux livres récemment publiés. Il faut compter plusieurs longues semaines, voire plusieurs mois, pour en disposer ! Nos propres capacités financières - je ne parle pas de nos capacités individuelles lesquelles vont en s'amenuisant, mais de celles de l'équipe ! - ne suffisent pas pour nous procurer tous les nombreux livres qui paraissent et dont nous aimerions rendre compte dans de bonnes conditions et des délais acceptables.

Cette demande va dans le même sens que celle que j'ai formulée dans un précédent billet – celui qui présentait le projet de création d'un fonds bibliographique des traductions françaises de littérature asiatique - et renvoie à la question : comment parler d'un livre qu'on ne possède pas définitivement ou suffisamment longtemps ? Certes Pierre Bayard a bien décrit dans un plaisant ouvrage intitulé Comment parler des livres que l'on a pas lus ? (Paris : Les Editions de Minuit, 2007) la possibilité de s'exprimer sur un ouvrage dont on a une connaissance très imparfaite, voire nulle, mais il ne serait pas sérieux pour nous de nous livrer à cette gymnastique -- voilà ce qui explique pourquoi je dois souvent me contenter de signaler la sortie d'un livre sans dépasser de beaucoup son paratexte, limitant mes prétentions à une simple incitation à la lecture et à la sollicitation de commentaires, invitation rarement suivie d'effet.

Ceci dit, il me faut mettre en garde nos éventuels bienfaiteurs que l'envoi d’ouvrage en service de presse ne sera pas forcément suivi des éloges escomptés : nous tenons farouchement à notre impartialité collective et individuelle ; de plus, l'impact commercial d'une telle largesse est, il faut bien le reconnaître, plus qu'incertain, de toute façon modeste -- voire les données chiffrées rapportées ci-dessus. Il n'empêche que l'expertise que les membres de l'équipe sont en mesure de fournir pourrait, me semble-t-il, largement contribuer à affiner la perception de l'amateur de littérature asiatique en traduction ; elle peut combler son attente d'être guidé, d'être épaulé dans sa découverte -- la disparition de la Revue Bibliographique de Sinologie et la confidentialité du Bulletin critique du Livre Français, l’absence de revue grand public ou spécialisée dans ce secteur rendent indispensable l’émergence d’un lieu qui puisse assurer le suivi critique des traductions d’œuvres des littératures asiatiques.

Une lecture attentive des critiques sur les publications récentes qu’offre la presse en kiosque ou en ligne montre que mis à part quelques rares signatures parmi lesquelles il faut naturellement compter celle de Bertrand Mialaret (Rue89.com) et celles que je signale à l’occasion, les comptes-rendus que l'ont peu lire ici où là, sont souvent dénués d’intérêt et manquent dramatiquement de points de comparaison ; s’appuyant, parfois fort lourdement, sur les dossiers de presse et se satisfaisant presque toujours d’une lecture rapide, ils ne se départissent pas d'un enthousiasme béat rarement motivé ; du reste, ils sont toujours muets sur les qualités réelles de la traduction, se contentant, parfois mais sans insister, d’évaluer le rendu français, ce qui n'est pas la même chose. Même si on peut ne pas s’en contenter, l’avis du spécialiste n’est pas, dès lors que celui-ci est formuler sans jargon et avec la volonté d’être lu de tous, à négliger.

On ne peut du reste s’en passer sur des points importants comme la pertinence du choix des traductions, la qualité de la traduction évaluée par rapport au texte original, la valeur de l'œuvre au regard du contexte culturel qui l'a nourrie, etc., jugements et appréciations qui ne peuvent qu’enrichir la perception du lecteur.

Les éditeurs et ses intermédiaires ont, eux aussi, me semble-t-il, beaucoup à gagner à prendre connaissance de ce type d’expertise, qui, en plus, peut ouvrir des pistes de réflexion, déboucher sur des propositions de texte à traduire, tout en renvoyant un regard dégagé, impartial sur le travail éditorial. Il y là, sans doute, un échange fructueux à mettre en place.

De plus, nous savons, nous qui sommes au contact d'une part, certes économiquement mineure, mais en aucun cas négligeable du public, combien nos avis peuvent influencer ceux qui les reçoivent. Nous savons, ou alors devons en prendre rapidement conscience, combien nos prescriptions peuvent façonner les goûts, et les dégoûts, des étudiants qui suivent nos cours, lesquels seront de futurs professeurs/prescripteurs, voire de potentiels acteurs de la diffusion de la littérature asiatique dans notre pays, soit en tant que traducteur, attaché d'une maison d'édition, que sais-je encore ?, libraire, critique littéraire, attaché culturel...

Lire au Collège impérial, Pékin (17/09/06, P.K.)

Si, comme l’affirme le bon sens populaire chinois, « dérober un livre n'est pas voler » (Toushu buzei 偷書不賊), détrousser son libraire est rarement loué, dans tous les cas jamais par le libraire, même si c’est pour une cause juste. Toute contribution matérielle sera chaleureusement accueillie et dûment signalée. Merci d’avance et bonnes vacances à tous. (P.K)

Lectures estivales (été 2008)

Dans un temple de Suzhou, le 8/08/2002 (P.K.)

Il est encore temps de passer chez votre libraire préféré pour faire le plein de livres pour l'été ; en plus de tous ceux dont nous avons parlé sur ce blog au cours de l'année, c'est-à-dire une bonne vingtaine de titres parus depuis le début de l'année 2008 et autant, sinon plus, d'ouvrages plus anciens méritant le détour, voici plusieurs pistes à explorer :

Outre, L'écrin vert, le délicat recueil de poèmes de Rabindranath Tagore (1861-1941) traduits par Saraju Gita Banerjee que viennent de publier les Editions Gallimard dans leur collection « Connaissance de l'Orient » et qui est une bonne manière de se replonger dans l'œuvre du Prix Nobel de Littérature 1913 que les éditeurs français redécouvrent directement à partir du bengali (et non plus à partir de l'anglais) -- voir notamment ses Histoires de fantômes indiens (7 textes traduits par Ketaki Dutt-Paul et Emmanuel Pierrat, Arléa, 2008, 207 pages) même s'ils pâtissent d'un rendu français qui peine à transmettre le souffle poétique du conteur indien et les Quatre chapitres qui ressortent chez Zulma (France Bhattacharya, traduction) sous une belle couverture de David Pearson --, je vous encourage à lire L'Oreiller Magique, la merveilleuse pièce de Tang Xianzu 湯顯祖 (1550-1635) [Handan ji 邯鄲記] admirablement traduite par André Lévy (Editions MF, « Frictions », 2007) dont le vous parlerai en détail à la rentrée --- le temps m'a manqué pour finir un billet qui a déjà son titre : « Tang Xianzu ressuscité ».

Mais si vous voulez frissonner, plongez-vous dans le n° 15 du Visage vert : en plus d'être un excellent numéro finement dosé autour du thème « Hantises et malédictions », et ce grâce au doigté de son maître-d'œuvre, Xavier Legrand-Ferronnière et à une lumineuse mise en page, c'est une excellente invitation à apprécier des auteurs oubliés, tels que Jean Cassou (1898-1987), Jules Bois (1868-1943), Ralph Adams Cram (1863-1942) dont la redécouverte est judicieusement facilitée par des études aussi pertinentes que savantes. Un régal !

Pour ma part, après une relecture de La Princesse de Clèves (1678) que les circonstances imposent, je partirai à l'assaut des pyramides armé des Mystères d'Udolphe (1794) d'Ann Radcliffe (1764-1823) dans le volume n° 3493 de la collection « Folio classique » (Gallimard, 2001. Edition de Maurice Lévy, 904 pages) qui le propose dans la traduction historique de Victorine de Chastenay (1798) : m'est avis que ce chef-d'œuvre du roman gothique devrait faire baisser la température ambiante et calmer mon appétit de frissons jusqu'à la sortie chez Zulma des Créatures du docteur Fu Manchu de Sax Rohmer dans une nouvelle traduction d'Anne-Sylvie Homassel. Ce deuxième volume des irrésistibles aventures de Nayland Smith et du Dr Petrie est annoncé pour le ... 11 septembre 2008. Une nouveau choc des cultures en perspective, car, comme prévient l'éditeur, Fu Manchu s'y montre encore « plus cruel, plus insaisissable que jamais. Sans oublier la troublante Kâramanèh !» .

Sensible à l'appel lancé à l'occasion de la dernière réunion de notre équipe (27/06/08), Solange Cruveillé qui est pourtant plongée dans un passionnant travail sur le personnage du renard dans la littérature chinoise de l'Antiquité à la dernière dynastie, m'a déjà répondu : « Je n'ai pas de lectures à recommander puisque je ne lis que des ouvrages pour ma thèse. néanmoins, je me suis régalée avec les Elégies de Chu (Chu Ci de Qu Yuan) traduites par Rémi Mathieu (Gallimard, « Connaissance de l'Orient », 2004, 318 p.), pour la beauté des images, la poésie et la traduction des sentiments, et le Han Feizi ou le Dao du Prince, traduit par Jean Levi (Paris : le Seuil, « Points sagesses », 1999, 638 p.), pour ses nombreuses anecdotes divertissantes, deux grands classiques qui malgré leur âge canonique se lisent comme des écrits modernes. Dans un autre genre, je conseille aussi La cuisine chinoise (1925) de Henri Lecourt (chef de la poste française à T’ien-Tsin en 1925, membre de l’Ordre du Nuage de Jade Vert, mari de cuisinière chinoise et fin gourmet), mis en ligne par Pierre Palpant (Classiques des sciences sociales) ici, qui offre des recettes de cuisine impériale et nous fait (re)découvrir le goût vrai de la cuisine tendance Pékinoise. » Et vous, qu'allez-vous lire ? (P.K.)

dimanche 29 juin 2008

Derniers paragraphes (005)



• La Croix
a consacré le jeudi 29 mai 2008 ( « Livres & idées », pp. 14-15), sous la plume de Geneviève Welcomme, deux pages à la « Mystérieuse littérature venue de Chine ». Il y est principalement question du Totem du loup de Jiang Rong 姜戎, envisagé comme « Un brûlot anti-confucéen », et de Brothers, « Vision de la Chine en écorché » de Yu Hua 余华, qui, à une des quatre questions qui lui sont posées, répond : « Tout ce que j'écris repose sur la vérité. J'ai depuis reçu des témoignages de gens qui ont connu bien pire que ce que mon roman raconte ».

Dans son article, Geneviève Welcomme rappelle que « la formidable créativité littéraire - 220 000 titres par an - qui accompagne la transformation de la Chine reste confrontée à l'archaïsme de la censure », et donne la parole à Noël Dutrait qui revient sur l'originalité de la production chinoise :
« Les romans chinois les plus appréciés des Français, je pense à ceux de François Cheng ou de Dai Sijie (Balzac et la petite tailleuse chinoise) sont faits pour les Occidentaux. En mettant l'accent sur la Chine traditionnelle et ses valeurs, ces auteurs ne déroutent pas le lecteur cultivé qui a une idée toute tracée de la Chine et de l'Asie. En revanche, les auteurs chinois « de l'intérieur » sembleront plus déstabilisants car la matière de leurs récits est faite des chamboulements vécus par la société depuis la mort de Mao. Le nouveau pouvoir disait que tout est possible, donc tout eu lieu. C'est de cela que parlent les grands romanciers chinois d'aujourd'hui. D'où la brutalité, la crudité de certains récits. Mais la littérature n'a-t-elle pas aussi pour fonction de s'emparer des grands sujets qui ont traumatisé une société ? Et il se trouve que parmi les grands écrivains d'aujourd'hui, certains ont beaucoup vu ... »

• Si vous ne les avez pas lu, précipitez-vous sur les articles que Bertrand Mialaret a récemment consacré sur Rue89.com aux auteurs chinois de romans policiers (voir ici), comme He Jiahong 何家弘 (« He Jiahong, l'état de droit en Chine passe par le roman policier », 30/05/08) et Qiu Xiaolong 裘小龍. « Quand l'inspecteur Chen enquête sur la vie privée du président Mao » (07/06/08) est un utile complément à « Qiu Xiaolong, flic et poète à Shanghaï » publié le 02/10/07. Ces trois intéressantes contributions qui donnent la parole à ces auteurs qu'on prendra plaisir à découvrir et à distinguer, pourraient bien vous donner envie de laisser de côté les Hercule Poirot de saison pour une nourriture plus riche en sauce soja.


• Ne manquez pas non plus, sur The New Yorker, la longue recension de Pankaj Mishra sur le Beijing Coma de Ma Jian 马建. Intitulé Tiananmen’s Wake. A novel of hope and cynicism ». Elle s'achève ainsi : « Like many a work produced in exile, Beijing Coma upholds spiritual self-sufficiency against the sentimental illusions of mass politics. It also suggests that by turning away from China’s complex struggles Ma Jian will deny himself the moral passion that is the truest wellspring of his art. »

Cet ouvrage a été retenu avec 99 autres par The Sunday Times guide to summer reading dans la liste des « 100 best holiday reads ». On peut toujours lire, sur le Times Online, la critique de Tom Deveson de ce roman dont la version française sortira à la toute fin du mois d'août aux Editions Flammarion. Vous ne le lirez donc pas sur la plage, à moins que ....


• Et pourquoi ne pas profiter des vacances et des installations Wifi de plus en plus nombreuses, notamment à Pékin qui s'équipe et montre la voie à suivre (voir « Free wireless Internet in downtown Beijing ») pour explorer les billets de la rubrique « Books » du site Danwei.org ? Le dernier en date (13/06/08) donne une courte critique des 20 Fragments of a Ravenous Youth de Guo Xiaolu par Ian Wallace, mais ne manquez surtout pas l'intéressante et originale contribution sur Zhang Ziping 张资平 (1893-1959), « Willow Fluff and trashy romance novels », que Joel Martisen conclut ainsi :
« Of course, the parallels with authors today aren't exactly one-to-one: after the founding of the People's Republic, Zhang worked as translator for the Commercial Press until 1955, when he was arrested as a counter-revolutionary. He was sent to a labor farm in 1958 and died there the following year. Still, when the publishing industry is murmuring about setting up a rating system for books to protect children from literature's slide into the gutter, or when people wring their hands over recalcitrant plagiarists like Guo Jingming, Zhang's novels of the 1920s and 30s remind us that mainstream culture was nothing sacred even in the legendary days of the May 4 movement. »
On retrouve encore Qiu Xiaolong, mais par la vidéo cette fois ; l'auteur de polars intervient en effet dans la piquante série de reportages Sexy Beijing 性感北京 : « Dreaming of Inspector Chen » qu'on peut aussi visionner sur Youtube, sur Tudou ou sur le site Sexy Beijing Tv à partir duquel on découvrira un blog pas moins surprenant et une liste de liens pleine de surprises -- ne pas manquer les six de la rubrique « Video Sharing ». La Chine n'a jamais été aussi proche ! (P.K.)

mardi 24 juin 2008

Réponse à la devinette (015)

Le palmarès pour la dernière devinette avant la trêve estivale est le suivant : or - LD ; Argent - FP ; bronze - Mathieu. Gloire à eux et à leur sagacité ! Grâce à eux, on sait depuis longtemps que le personnage à identifier fêtait l'anniversaire de sa naissance le 24 juin, qu'il était de notre région - la Provence -, qu'il fut marquis, et qu'il eut un puissant ami, « Der Alte Fritz ».

Il ne me reste donc plus qu'à révéler le nom de celui qui se cachait derrière Sioeu-Tcheou, le rédacteur de la lettre adressée à Yn-Che-Chan. Ce n'était, bien sûr, pas un vrai Chinois, mais Jean-Baptiste de Boyer, marquis d’Argens, né à Aix-en-Provence voici 304 ans, soit en 1704 et mort le 11 janvier 1771 au château de La Garde (près de Toulon).

Le temps me manque - nous sommes déjà le 24 juin ! - pour disserter sur l'intérêt et le plaisir que l'on trouve à lire cet auteur. Mais faites moi confiance : on ne regrette pas de fréquenter ce brillant et curieux esprit. Une partie de son abondante production est accessible en ligne. C'est le cas notamment de ses Lettres chinoises, ouvrage dont je vous avais soumis le début, et qui est sous-titré Correspondance philosophique, historique et critique, entre un Chinois voyageur [à Paris] et ses correspondants à la Chine [ou selon les sources ... en divers endroits ou encore ... en Moscovie, en Perse et au Japon] (1739-40)

Google Books permet d'en feuilleter plusieurs fac-similés complets alors que, pour l'instant, Gallica n'offre que le premier tome. Souhaitons qu'un jour prochain nous puissions le lire dans une belle édition critique et palpable, car c'est un régal. On a, au moins, la certitude d'avoir le plaisir de disposer rapidement d'une version numérique grâce au Dr. Hans-Ulrich Seifert sur son site entièrement dédié à Boyer d'Argens. Un lien est déjà près pour accueillir les Lettres chinoises . En plus d'une masse impressionnante de matériaux, on trouve déjà sur ce site remarquable un choix très vaste de textes numérisés ou les liens ad hoc vers Gallica.

Mais pour profiter à plein des subtilités de cette correspondance fictive entre faux Chinois, on pourra toujours commencer par se plonger dans les rafraîchissants chapitres V et VI (« La Chine au secours de l'érotisme européen ») de l'Europe chinoise d'Etiemble (Gallimard, « Bibliothèques des idées », 1988-89), pages 87 à 113 du tome II (De la sinophilie à la sinophobie) --- et pourquoi s'arrêter en si bon chemin et ne pas relire d’une traite les deux merveilleux volumes de ce toujours aussi stimulant chef-d’œuvre d’érudition ?

On peut aussi tuer le temps en lisant, ou relisant, la Thérèse philosophe de Boyer d’Argens dans sa version française (en ligne ici ou dans une des nombreuses éditions publiées ces dernières années : j'utilise ici celle de la collection « Babel », n° 37, Actes Sud, 1992) ou, selon son appétit, chinoise. Le roman fait, en effet, partie du premier lot de 14 classiques de la littérature érotique mondiale à avoir été publiés dans des traductions inédites à Taiwan ; c’était en 1994. On peut se faire une idée des autres titres retenus en consultant la base de données bibliographiques du Center for the Study of Sexualities (Taiwan) .

On ne s'étonnera pas de retrouver à la tête de cette entreprise qui lui causa à l’époque quelques soucis avec la censure locale, le défenseur de la littérature érotique chinoise des siècles passés, M. Chan Hing-ho (Chen Qinghao 陳慶浩). Sollicité pour l'assister dans son choix « d’œuvres représentatives », j'avais naturellement retenu un ouvrage que les comparatistes chinois pourraient s'amuser à confronter à leur Chipozi zhuan 癡婆子傳 --- vous savez la scandaleuse confession de Shangguan Ana 上官阿娜, cette amoureuse folle, dont il a été question dans « Enfer chinois (03-a) » et dont j'aurais à vous reparler un jour prochain (« Enfer chinois (03-a-bis) »).

En guise de devoir de vacances, je vous soumets le début du texte dans les deux versions (cliquer sur l'image ci-contre pour l'agrandir ou ici) ; il se pourrait bien que la traduction de Weigu 微谷 (‘Petite Vallée’, sans aucun doute un pseudonyme !) se trouve quelque part sur la face cachée de l’internet chinois ; je vous fais confiance pour mettre la souris dessus et vous souhaite de studieuses vacances … (P.K.)

mardi 17 juin 2008

Bac philo pour Gao

Gri-gris au Collège impérial, Pékin (Cliché P.K., sept. 2006)

La saison des examens universitaires tire à sa fin, mais, qui s'en soucie, le bac est de retour. Avec, pour commencer et pour quelque 500 000 candidats !, son épreuve de philosophie toujours autant commentée par les médias : vous avez déjà dû trouver les listes de sujets - Peut-on désirer sans souffrir ? ; La perception peut-elle s'éduquer ? -, par ici, déjà des « corrigés en ligne », par là, et, toujours les mêmes questions « Doit-on en finir avec le bac ? », « A quoi bon la philosophie ? » matière « à part », etc !

Le Figaro n'est pas en reste avec cet article de Delphine Chayet et Aude Sérès avec Charlotte Gauthier, « Le bac philo vu par des personnalités étrangères » (17/06/2008) dont je reproduis ici le début, vous allez comprendre pourquoi :
Alors que les candidats au bac ont planché, hier, sur la philosophie, «Le Figaro» a demandé à des étrangers vivant en France de commenter les sujets. Du Prix Nobel de littérature Gao Xingjian au navigateur suisse Bernard Stamm, en passant par l'ambassadeur des États-Unis en France, ils ont joué le jeu alors même que l'étude de la philosophie au lycée est une spécificité bien française.
Gao Xingjian, écrivain chinois et Prix Nobel de littérature. Au sujet, « Est-il plus facile de connaître autrui que de se connaître soi-même ? », Gao Xingjian réplique que c'est précisément le thème de toute son œuvre, une longue quête, sans limite. Pour lui, c'est « Le » sujet par excellence. « Les jeunes qui passent le baccalauréat sont bien trop jeunes pour répondre à une telle question ! juge-t-il. C'est un vrai casse-tête et ils n'ont pas assez d'expérience dans la vie. » Pour lui, on n'a pas assez de toute une existence pour répondre à ce « problème philosophique fondamental ». La philo au lycée ? Selon lui, cela sert à la formation de l'intelligence, qui apporte des outils de raisonnement. C'est nécessaire, mais pour Gao Xingjian, la littérature est plus utile, plus liée à la vie, car « elle apporte de véritables témoignages sur la condition humaine ».
Alors quelle note mettriez-vous à l'élève Gao ?

Je me souviens avoir pour ma part plancher sur « Peut-on être sans avoir ? », mais pas des angoisses pré-bac. Par contre, je n'ai jamais pu oublier ce texte d'Henri Michaux (24 mai 1899 - 18 octobre 1984), « Examens en Chine » (Façons d'endormi, façons d'éveillé. Gallimard, 1969) :
Je suis en Chine ; arrivé d'un pays voisin, plutôt par erreur. On me donne d'entrée de quoi écrire pour suivre avec d'autres déjà bien avancés, une classe de chinois. Pas commode à tracer les caractères, ni à distinguer les uns des autres, ni à retenir. J'en trace un certain nombre, commettant beaucoup de fautes. Sans autrement broncher, de temps à autres les maîtres se penchent sur ma copie, la copie qui va décider de tout. L'épreuve continue et je confonds toujours certains caractères.
Or il y a 700 caractères qui signifient « mérite la mort » .
Saisissant, n'est-ce pas ? (P.K.)