jeudi 29 janvier 2009

Le retour de Shen Fu

Après Les Lettres familiales de Zheng Banqiao, j’avais en tête de rédiger un nouveau billet de ma nouvelle série « Indisponible » et de me plaindre de la disparition des rayonnages des librairies d'un autre de ces témoignages de la délicatesse des lettrés chinois de la dynastie Qing (1644-1911), savoir la traduction historique du Fusheng liuji 浮生六記 de Shen Fu 沈復 (1763-1825 ?) par Pierre Ryckmans. Or l’ouvrage, Six récits au fil inconstant des jours, dont l’absence se faisait cruellement sentir vient justement d’être réédité, et je suis donc heureux de vous annoncer le retour de Shen Fu.

Ce retour est assuré par les éditions Jean-Claude Lattès. Il apporte quelques modifications notables par rapport aux tirages anciens. Outre un nouveau format qui le situe dans une communauté esthétique avec le précédent ouvrage de Simon Leys paru chez cet éditeur - Le bonheur des petits poissons dont j'avais parlé - , c'est le nom de Pierre Ryckmans qui a été effacé au profit de son célèbre pseudonyme. On a, de plus, droit à une posface inédite rédigée à Canberra en septembre 2008. En voici un rapide résumé qui intègre les détails que son auteur n'a pas pris pas la peine de rappeler, préférant s'en tenir à l'évocation, quelque quarante ans après sa première publication, des raisons de son attachement pour cet ouvrage.


Après un rapide renvoi à un essai [« L'expérience de la traduction littéraire », L’Ange et le cachalot. Seuil, 1998, repris dans la collection « Points-essais », 2002, pp. 137-158] dans lequel il écrivait que « l’idéal du traducteur est de se transformer en l’Homme Invisible », il revient sur
  1. les circonstances dans lesquelles a vu le jour cette traduction, savoir un voyage en bateau entre Hong-Kong et Anvers avec son épouse à qui il doit d'avoir découvert cette œuvre,
  2. les déboires qu’a connu sa publication une fois le travail accompli : elle fut d’abord acceptée par Etiemble (1909-2002) pour figurer dans sa collection « Connaissance de l’Orient », mais comme la maison d'édition Gallimard avait déjà signé un contrat pour le même texte, la traduction fut finalement éditée à Bruxelles par les Editions F. Larcier en 1966. Elle portait une préface d’Yves Hervouet (1921-1999) qu’on ne retrouve déjà plus dans la réédition chez Christian Bourgois, collection « 10/18 » (n° 2715) en 1982, nouveau tirage qui fut bien accueilli par la presse mais dont le stock disparu « dans l’incendie d’un entrepôt ».

Quand la traduction de Jacques Reclus, qui vit le jour en 1967 sous le double titre de Récits d’une vie fugitive. Mémoires d’un lettré pauvre (Gallimard, « Connaissance de l’Orient ») avec une préface de Paul Demiéville (1894-1979), n’a jamais vraiment quitté les rayons des libraires, avec même un passage en « Folio » en 1977 (n° 968) et une réédition dans la collection petit format de « Connaissance de l’Orient » en 1986 (repris en 1990, 2001 et 2005), celle de Pierre Ryckmans, parue presque deux ans plus tôt, n’était plus accessible que chez les meilleurs bouquinistes et dans les bibliothèques.

Si vous disposez de pas moins de 18 €, vous pouvez donc acquérir ce bel ensemble de 265 pages qui reprend l’exergue empruntée aux conversations de Gœthe avec Eckerman (31 janvier 1827), l’avant-propos du traducteur, cette fois signé Simon Leys, ainsi que l’avertissement qui signale notamment que le titre emprunte à un texte de Li Bai 李白 (701-762) [Chun ye yan Tiaoliyuan xu《春夜宴桃李園序》: « L'univers n'est que l'auberge des créatures, et le temps, l'hôte provisoire de l'éternité : au fil inconstant des jours, notre vie n'est qu'un songe, et nos joies sont fugaces … » 夫天地者。萬物之逆旅也。光陰者。百代之過客也。而浮生若夢。為歡幾何。], la traduction, bien entendu [pp. 17-235], les 67 notes d’origine, plus la postface résumée plus haut, seule réelle nouveauté de cette édition qui permettra de faire connaître les quatre des six récits subsistants de ce remarquable témoignage de la destinée d’un Chinois du XVIIIe s. Le livre y gagne également une quatrième de couverture :
Shen Fu (1763-?) était un lettré obscur qui dut faire figure de raté aux yeux de ses contemporains. Mais ses Six Récits, dès leur publication posthume, connurent un succès extraordianire, en Chine tout d'abord, puis à l'étranger (où il fut traduit en plusieurs langues). Le propos apparemment modeste de Shen Fu – simplement raconter quelques expériences d'une vie sans grande histoire – a produit une œuvre d'une exceptionnelle originalité. Traditionnellement, l'autobiographie est un genre que la littérature chinoise n'a guère cultivé ; or celle-ci est non seulement vivante et candide, mais surtout elle s'attache à décrire un sujet que, tout récemment encore, la langue chinoise n'avait même pas de mot pour désigner : la vie privée – en l'occurrence, celle d'un couple amoureux (car les Six Récits sont tout éclairés par la lumineuse présence de Yun, la femme du narrateur) qui cherchait désespérément à construire et protéger son intimité à l'encontre des implacables conventions du monde. Pour Simon Leys, son traducteur, Shen Fu « déteint un secret dont nous avons besoin aujourd'hui comme jamais – le don de poésie, lequel n'est pas le privilège de quelques prophètes élus, mais l'humble apanage de tous ceux qui savent découvrir, au fil inconstant des jours, le long courage de vivre, et la saveur de l'instant.»
Or donc, pour résumer, nous disposons, à nouveau, de deux versions pour le même texte. Les plus exigeants pourront dès lors se livrer en toute quiétude au jeu des comparaisons entre les traductions. Une partie des commentaires attachés à un billet de Pierre Assouline sur son blog La République des livres porte encore mention d'une comparaison de ce type concernant le passage suivant :
« Un jour d’automne que nous festoyons au Pavillon de l’Osmanthe, le goût des aliments était complètement effacé par le parfum de cette fleur. Seul le gingembre mariné conservait l’acuité de sa saveur. « Le gingembre et la cannelle gagnent en force avec l’âge », et il n’est pas exagéré de comparer ces épices à de vieux ministres d’Etat endurcis sous le harnais. » [Jacques Reclus, trad., Gallimard, « Connaissance de l’Orient », p. 125]
« J’assistai un jour à un banquet donné dans la Tour des Lauriers en Fleurs ; le fumet des plats y était complètement oblitéré par le parfum des fleurs, seule la saveur du gingembre mariné ne s’en trouvait pas altérée. On pourrait d’ailleurs comparer cette propriété du gingembre et du genévrier à renforcer leur goût en vieillissant, à la vertu de certains ministres, dont la fidélité augmente encore avec l’âge. »[Simon Leys, trad., J.-C. Lattès, p. 172]
Détail d'une peinture de Chen Hongshou 陳洪綬 (1598-1652)

L'avis émis par Paul Demiéville en date du 8 juillet 1967 ne manque pas d'intérêt :
En français, nous sommes servis à souhait. Deux sinologues également compétents travaillaient depuis plusieurs années, l'un en Extrême-Orient, l'autre en Europe, à établi des traductions aussi soignées que possible, sans se connaître ni savoir qu''ils poursuivaient la même taâche. Ils ont abouti presque en même temps. L'excellente version de Pierre Ryckmans vient de paraître en Belgique (… novembre 1966). Celle que j'ai le plaisir de présenter ici est due à Jacques reclus, un descendant des grands frères Reclus qui se sont illustrés au début de ce siècle par tant de travaux divers (le géographe, Elisée, a publié avec son frère Onésime, en 1902, un gros volume sur L'Empire du Milieu). M. Reclus a passé la plus grande partie de sa vie en Chine ; il y a épousé une lettrée distinguée qui enseigne aujourd'hui le chinois à notre Ecole des langues orientales. Sa traduction est d'une fidélité scrupuleuse ; j'ai pu m'en assurer en la comparant de près avec le texte chinois, que j'ai trouvé j'ai trouvé ainsi une heureuse occasion de relire. Aucune difficulté n'est esquivée, et il n'en manque pas ; la recherche a été poussée à fond lorsqu'il fallait. De plus, le style reproduit avec un rare bonheur celui de l'original, qui est délicieux. Pour un ouvrage dont les charmes discrets ne se révèlent pas tous à première lecture, ce n'est pas trop que deux interprétations, naturellement un peu différentes. Le lecteur attentif trouvera profit à les lire l'une après l'autre, comme deux variations sur un thème riche en harmoniques. [« Préface », Gallimard, p. 19]
Les sinisants n'auront, quant à eux, aucune difficulté à se procurer une édition plus ou moins commentée, voire traduite en chinois moderne, proposant le texte seul ou avec d'autres textes appartenant au même sous-genre du xiaopin wen 小品文 dont le Fusheng liuji de Shen Fu serait le chef-d'œuvre. C'est ainsi qu'y faisait référence André Lévy dans son compte-rendu de la traduction du Yingmei’an yiyu 影梅庵憶語 de Mao Xiang 冒襄 (1611-1693) par Martine Valette-Hémery [Etudes Chinoises, vol. XI, n° 1 (Printemps 1992), p. 183-89] ; ces Souvenirs de l’ermitage des pruniers-ombreux (Picquier, (1992) 1997) étant vus comme « l’œuvre fondatrice d’un genre nouveau » de cette catégorie d'essai futile. Et s'il ne parvient pas à dénicher une édition de référence, il peut toujours se rabattre sur une édition en ligne comme celle, très correcte, fournie par le site Open Literature 開放文學.

Dès lors, quiconque pourra se livrer comme le fit à l'époque Werner Banck pour Oriens [Vol. 23 (1974), pp. 628-629] au jeu quelque peu stérile de la recherche des « possibles erreurs ». On pourra aussi préférer s'abandonner à une plongée sans réserve dans un univers accueillant et surprenant ou encore s'attacher comme Flora Blanchon le fit lors d'une conférence [« Shen Fu, un lettré bohème de la fin du 18e siècle »] reproduite en ligne sur le site du CRLV (Centre de recherche sur la littérature de voyage) à un des nombreux aspects de ce texte qui ne laissera personne indifférent.

Dans sa notice sur Shen Fu pour le Dictionnaire de littérature chinoise [André Lévy (ed.), PUF, « Quadrige », (1994) 2000, p. 266] dans laquelle il traduit le titre par Six Récits d'une vie éphémère, Jacques Dars a su trouver les mots pour résumer l'effet que l'on peut attendre de la lecture de cette œuvre :
« C'est, bien sûr, le portrait, extrêmement fouillé, du narrateur et de sa chère épouse qui nous fascinent, et nous en retenons d'emblée l'exquis art de vivre et de goûter ce « temps, hôte provisoire de l'éternité ». Cette qualité d'humanité donne au livre une résonance universelle ; l'émerveillement de Shen Fu nous émerveille, et par dessus les siècles, sa voix admirablement posée, et qui comme nulle autre nous émeut de ses confidences, restent aussi proche et fraternelle. »
Vous avez compris que si Six récits au fil inconstant des jours de Shen Fu n'est plus indisponible, il est indispensable. On pourrait du reste entendre bientôt parler à nouveau de Shen Fu et de ses écrits, car le cinquième des Six Récits aurait été retrouvé ! (P.K.)

mercredi 28 janvier 2009

La disparition d'un géant

Les amateurs de « romans d'arts martiaux », wuxia xiaoshuo 武俠小說, seront tous très tristes d'apprendre la disparition d'un de ceux qui ont le mieux défendu et illustré ce genre littéraire au succès planétaire : Liang Yusheng 梁羽生.

Il y a peu Solange Cruveillé qui a traduit Wang Dulu 王度盧 (1909-1977) nous parlait de Jin Yong 金庸 (1924-). A ces deux auteurs majeurs, on prendra la peine d'ajouter Gu Long 古龍 (Xiong Yaohua 熊耀華, 1937-1985), dont on peut, comme les deux précédents, lire des bribes en français. A ces trois géants qui n'ont pas tous été servis avec le même bonheur, il convient d'ajouter Liang Yusheng 梁羽生. Mais force est de constater qu'aucune œuvre de lui n'est encore disponible dans notre langue. C'est pourtant un auteur qui a compté dans l'évolution du roman de cape et d'épée chinois et qui, disent certains, aurait même influencé Jin Yong.

Chen Wentong 陳文統 de son vrai nom, Liang Yusheng s'est éteint, à Sydney, le 22 janvier à l'âge de 85 ans. Né au Guangxi, le 22 mars 1924, Liang Yusheng avait, aiment à souligner les nombreuses évocations de sa vie qui ont fleuri sur le net chinois, reçu dans son enfance une excellente formation classique dont il tira profit dans sa création romanesque. Celle-ci prit son envol au milieu des années cinquante. Installé à Hong-Kong en 1949, Liang alimenta pendant trente ans la presse de ses fresques raffinées et palpitantes. Au terme d'une carrière à laquelle il mit un terme en 1984 quand il partit s'installer en Australie, il avait composé pas moins de 35 cycles narratifs édités en plus de cent cinquante volumes.

L'un d'entre eux - Qi jian xia tian shan 七劍下天山 - (après bien d'autres) a servi de source au réalisateur Tsui Hark 徐克, pour son Seven Swords (Chat gim, 2005).

Souhaitons qu'un jour prochain un éditeur français offre à cet immense écrivain un accueil à la hauteur de son talent. (P.K.)

mardi 27 janvier 2009

Place au Buffle !

Native du Rat, la préparation de la cérémonie de passation de pouvoir, ce dimanche 25 janvier à 18h heure locale, m'a pris beaucoup de temps, aussi suis-je en retard pour accueillir dignement son successeur sur ce blog. Place donc au Buffle, lequel aura tant à faire pendant son règne !

En vietnamien, cette année est celle de Kỷ Sửu. Sửu veut dire « Buffle », selon une tradition bien ancienne venant du Nord, alors que le terme vietnamien est trâu : pour indiquer simplement « Je suis du signe du Buffle » dans une conversation courante, on dit « Tôi tuổi trâu » (littéralement : je – âge – buffle). Pour se souhaiter la bonne année, on dit :

Chúc Mừng Năm Mới !
(souhaiter – se réjouir, féliciter – année – nouveau)

Le Buffle est réputé être un ami loyal et dévoué de l'homme, travailleur et patient. Il est indispensable aux travaux dans les rizières inondées. Les enfants, même citadins, apprennent à l'apprivoiser dans les chansons telle que Trâu ơi ta bảo trâu này (Buffle, écoute-moi). L'imagerie populaire y fait souvent référence comme dans l'illustration ci-dessus. Des peintres comme Nguyễn Tùng Ngọc puisent leur inspiration du paysage serein de la campagne où l'on voit très souvent un buffle avec un regard gentil et intelligent :

Le Buffle est très présent dans la littérature populaire, en particulier dans les ca dao, poèmes populaires sous forme des vers de six pieds et de huit pieds qu'on fredonne. Par exemple :
Trâu ơi ta bảo trâu này Trâu ra ngoài ruộng trâu cày với ta Cấy cày vốn nghiệp nông gia Ta đây trâu đấy ai mà quản công Bao giờ ngọn lúa còn bông Thì còn ngọn cỏ ngoài đồng trâu ăn

Buffle, écoute-moi
Viens labourer le champ avec moi
Labourer et repiquer le riz, c'est notre métier
Je suis ici, tu es là, nous ne ménageons pas notre peine
Tant que le riz pousse
Il y a toujours de l'herbe pour toi.

Rủ nhau đi cấy đi cày Bây giờ khó nhọc có ngày phong lưu Trên đồng cạn dưới đồng sâu Chồng cày vợ cấy con trâu đi bừa

Allons repiquer, allons labourer
Le travail est dur aujourd'hui, mais viendra le jour de la prospérité
Dans le champ sec, dans la rizière profonde
Le mari laboure, la femme repique, le buffle herse
De nombreux proverbes associent cet animal aux situations diverses de la vie humaine ou aux comportements humains, comme aux relations sociales. En voici quelques-uns :
Lấy vợ, làm nhà, tậu trâu
[Les étapes importantes de la vie]
Prendre une épouse, construire sa maison, acheter son buffle.

Con trâu là đầu cơ nghiệp
Le buffle est l'essentiel de la fortune

Ruộng sâu, trâu nái, không bằng con gái đầu lòng
Une rizière profonde, une bufflesse, tout cela ne vaut pas une fille aînée.

Trâu buộc ghét trâu ăn
Le buffle attaché déteste celui qui peut aller manger.

Mua trâu xem vó, lấy vợ xem nòi
Quand on achète un buffle, on regarde ses pieds, quand on prend une femme, on vérifie sa lignée.

Trâu chậm uống nước dơ, Trâu ngơ ăn cỏ héo
Le buffle retardataire boit de l'eau trouble, le buffle niais mange de l'herbe flétrie.

Trâu bò húc nhau, ruồi muỗi chết
Quand les buffles et les bœufs se battent, les mouches et les moustiques trépassent.
L'écrivain Sơn Nam a écrit une nouvelle sur les buffles chez les paysans du Sud Vietnam, Mùa len trâu (La saison de la transhumance), nouvelle qui a été adaptée à l'écran en 2004 par le réalisateur Nguyễn Võ Nghiêm Minh. La version française a été diffusée sous le titre Le gardien des buffles :
A la saison des pluies, la transhumance permet aux buffles de survivre dans les terres plus hautes, alors que dans la plaine l'eau « pourrit tout ». Dans les années 1940, Kim, un jeune garçon de quinze ans, amène les deux buffles, le seul bien de sa famille, se réfugier loin de l'eau. Ce premier voyage est aussi un voyage initiatique qui lui apprend la dureté, mais aussi la beauté de la vie.

Dương Thu Hương

Voici pour conclure deux mots sur la rentrée littéraire vietnamienne en France. Elle est marquée par la sortie de deux romans « vietnamiens » déjà salués par la critique.
  • Le premier est de la romancière Dương Thu Hương bien connue des lecteurs français. Installée en France depuis 2007, elle a, en effet, reçu le Grand Prix des lectrices du magazine ELLE en mai 2007. Son nouveau roman Au Zénith qui est sorti chez Sabine Wespieser, mais que je n'ai pas encore lu, est nous dit-on « une fresque somptueuse et passionnante » qui revient sur l'année 1973 au Vietnam et plus précisément sur Ho Chi Minh, le père de la nation vietnamienne ». Des rencontres-signatures sont organisées à Paris et en province autour de cet événement. Je me contenterai pour l'heure d'ajouter que le roman a été traduit par Phuong Dang Tran, par ailleurs traducteur du très bel Itinéraire d'enfance, un des premiers romans connus de Dương Thu Hương publié 1985 au Vietnam et sorti en mai 2007 en France également chez Sabine Wespieser.
  • Le deuxième roman marquant de cette rentrée est de Linda Lê (née en 1963 au Vietnam, elle est arrivée en France en 1977). Elle vient de publier Au fond de l'inconnu pour trouver du nouveau chez Christian Bourgois. « Ces pages, roman d'une lectrice, sont », nous dit-elle, « des hommages aux maquisards qui ont fait œuvre délictueuse, s'assignant le but de renverser les normes, de lancer des brûlots au flanc de l'académisme, d'exorciser les peurs et de proposer au lecteur un voyage où il se débarrassera de sa pusillanimité, de ses préjugés, et se laissera emporter par une bourrasque vers des territoires inconnus ».
Souhaitons que l'année du Buffle apportera, à l'une et à l'autre, beaucoup de créativité et de succès ! Quant aux écrivains restés au Vietnam, l'année devra être aussi placée sous le signe du travail et de la persévérance. Lors du récent colloque sur « La littérature (vietnamienne) et l'intégration mondiale » (Văn học và xu thế hội nhập) organisé par l'Association des Ecrivains du Vietnam le 18 décembre 2008, l'accent a été mis sur la nécessité vitale pour la littérature vietnamienne, d'être, tout en gardant son « caractère national », plus en relation avec les autres littératures, en particulier de se faire mieux connaître à l'étranger. Mais cela sera l'objet du prochain billet.

Pour le moment, Bon printemps du Buffle (Xuân Kỷ Sửu) à tous !

Nguyen Phuong Ngoc

dimanche 25 janvier 2009

Du rat au bœuf

Pour finir l'année du rat en beauté et commencer celle du bœuf avec le sourire aux lèvres, je vous invite à découvrir, ou à relire, une blague chinoise tirée du Xiaofu 笑府 (j. 8) de Feng Menglong 馮夢龍 (1574-1645) naguère – c'était en 1968 – traduite par André Lévy pour un article pionnier repris dans ses Etudes sur le conte et le roman chinois [E.F.E.O., 1971, pp. 67-95] sous le titre de « Notes bibliographiques pour une histoire des « histoires pour rire » en Chine » (p. 75). La voici :
L'anniversaire du mandarin approche. Apprenant qu'il est né l'année de la souris, l'un de ses subordonnés fait une collecte d'or et lui offre en cadeau un modèle en métal précieux de cet animal. Le mandarin le prend avec joie, et ajoute : « Savez-vous que l'anniversaire de ma femme est pour bientôt ? Elle est née l'année de la vache ... ». 一官府生辰。 吏曹聞其屬鼠。 醵局黃金鑄一鼠為壽。官喜曰。汝知奶奶生辰亦在日下乎。奶奶是屬牛的。

Mais qui dit nouvel an chinois, fête du printemps, Chunjie 春節, dit aussi festivités, bons repas, pétards et flonflons, aussi vais-je en profiter pour vous signaler qu'un concert gratuit de musique chinoise organisé par le Service Culturel du Crous d'Aix-Marseille se tiendra le jeudi 29 janvier à 20 h, à la cafétéria universitaire des Gazelles à Aix-en-Provence. On pourra y entendre Mlles Hou Guannan au pipa 琵琶 et Zhou Jinglin au guzheng 古箏. Tous les renseignements concernant cette manifestation musicale, et bien d'autres, sont accessibles sur le blog des services de la vie étudiante du Crous.

A chacun son morceau

Mais n'attendez pas le 29 pour écouter de la musique chinoise, et explorez, selon votre humeur et vos goûts, le catalogue en ligne du site Deezer qui propose aussi de la musique chinoise. Et pourquoi ne pas commencer par ce beau morceau méditatif [cliquer ici] ? A moins que vous ne préfériez les suaves sonorités de la regrettée Deng Lijun 鄧麗君 alias Teresa Teng (29 janvier 1953 – 8 mai 1995) dans quelques uns de ses plus grands succès, dont celui-ci ; ou encore la touchante fraicheur d'une musique quasiment de circonstance, comme celle-là. Mais, je n'en doute pas, les deux dernières propositions emporteront tous vos suffrages : 1 & 2.

B
onne année du bœuf !

萬事如意

Réponse à la devinette (018)

« Je songeai à traduire le Roman du bord de l'eau, ....
Pourtant, j'en vins à la conclusion que de tels textes étaient,
aussi, difficilement traduisibles. »

La dix-huitième devinette n'a guère suscité d'intérêt, aussi ma réponse sera brève. Elle le sera d'autant plus que l'ouvrage dont était extrait le passage fera l'objet d'un billet dans la série « Indisponible » inaugurée il y a peu.

Françoise P., qui fut la seule à concourir, va donc pouvoir enfin vérifier si son identification était correcte. L'auteur des lignes qu'on a pu lire est Danielle Elisseeff. L'ouvrage dans lequel elle faisait revivre avec délicatesse et maestria Huang Jialüe 黄嘉略, alias Arcade Huang (1679-1716) est semble-t-il épuisé. Il a pour titre Moi, Arcade, interprète chinois du Roi-Soleil (Paris : Arthaud, 1985, 192 p.).

En posant ma devinette, j'avais procédé à une petite coupe sur les pages 164 à 167 ([...] dans le dernier paragraphe), coupe que je vais combler maintenant :
« … dont nous avions tiré deux textes que M. Fréret s'était naguère donné la peine d'apprendre. »
La référence à l'auteur des Réflexions sur les principes généraux de l'art d'écrire et en particulier sur les fondements de l'écriture chinoise (1718) aurait sans doute grandement facilité l'identification du personne mis en scène, mais également de l'auteur, car Danielle Elisseeff a également consacré, voici quelque trente ans, une monographie à ce personnage marquant des études chinoises : Nicolas Fréret (1688-1749). Réflexions d'un humaniste du XVIIIe siècle sur la Chine. (Collège de France/Institut des Hautes Etudes Chinoises, 1978, 251 pages, coll. « Mémoires de l'IHEC »).

Je reviendrai sur l'intérêt qu'il y aurait à pouvoir disposer à nouveau de ces deux ouvrages, mais ne peux vous quitter sans vous signaler que le dernier opus de Danielle Elisseeff est bien disponible et tout aussi réussi. Il a été publié en 2008 par l'Ecole du Louvre et la Réunion des Musées nationaux, dans la collection des « Manuels de l'Ecole du Louvre », sous le titre : La Chine du Néolithique à la fin des Cinq Dynasties (960 de notre ère). Art et Archéologie. 381 pages richement illustrées à lire de toute urgence. (P.K.)