Sebastian Veg, membre associé de notre équipe, chercheur au CEFC de Hong Kong vient de publier aux éditions de l’EHESS, Fictions du pouvoir chinois, littérature, modernisme et démocratie au début du XXe siècle.
J’avais eu le grand plaisir de faire partie du jury de thèse de Sebastian Veg, qu’il avait soutenue en 2004 dans notre université. Cette thèse de littérature comparée, dirigée par Fridrun Rinner était intitulée « Fictions chinoises du pouvoir et du changement politique : Kafka, Brecht, Segalen, Lu Xun, Lao She ». Elle analysait et comparait magistralement les œuvres de cinq auteurs essentiels du XXe siècle dans leur prise en compte des changements politiques et de la recherche de la démocratie.
Cet ouvrage deviendra à coup sûr un « incontournable » aussi bien pour les historiens de la Chine moderne que pour les spécialistes de littérature chinoise moderne et les comparatistes qui s’intéressent à la littérature du XXe siècle. On y trouve traitées en profondeur toutes les questions importantes qui se sont posées aux écrivains de cette époque dans le monde entier : les rapports entre fiction et pouvoir, fiction et morale, démocratie et fiction, la naissance d’une littérature dite « nationale », les relations entre récit de voyage, exotisme et colonialisme, littérature réaliste et réalisme socialiste, le théâtre face à l’histoire et bien d’autres encore.
En outre, l’ouvrage est truffé de notes toutes plus stimulantes les unes que les autres, remplies d’informations passionnantes. Les repères chronologiques, un glossaire des caractères chinois, une imposante bibliographie, des index et même des illustrations très judicieusement choisies complètent cet ouvrage indispensable.
Seul un polyglotte comme Sebastian Veg pouvait se permettre d’aller aussi loin dans l’étude des œuvres de deux écrivains allemands, un écrivain français et deux écrivains chinois ! Il s’agit de La véridique histoire d’A-Q de Lu Xun, La Maison de thé de Lao She, René Leys de Victor Segalen, La Muraille de Chine de Franz Kafka et La Bonne Ame du Setchouan de Bertold Brecht. Sebastian Veg justifie son choix par ces mots : « La restriction à des œuvres situées dans le contexte chinois se justifie aussi par la rareté des textes européens traitant des changements politiques en Europe à cette époque, la Chine apparaissant sans doute alors comme le lieu par excellence où se jouait le chamboulement politique de la modernité. »
Une autre publication récente a attiré mon attention, l’ouvrage de Izabella Łabędzka, Gao Xingjian’s Idea of Theatre, from the Word to the Image, publié chez Brill en 2008.
Après les travaux de Gilbert Fong et de Sy Ren Quah, ce livre tout récent deviendra aussi un « incontournable » dans l’étude de notre Prix Nobel. Notre équipe de recherche a eu deux rendez-vous manqués avec Izabella Łabędzka : elle avait annoncé sa venue au colloque sur l’œuvre théâtrale et romanesque de Gao Xingjian que nous avions organisé en 2005, puis à la table ronde sur la traduction de l’œuvre de Gao Xingjian à l’occasion de l’ouverture de l’Espace de recherche et documentation de notre université en 2008, mais les deux fois elle a été empêchée de venir par des événements indépendants de sa volonté. En lisant son livre, on ne peut que regretter son absence tant il paraît capital pour travailler sur l’œuvre théâtrale de Gao. Elle passe du théâtre d’avant-garde du début des années 1980 à la recherche du théâtre total, en passant par l’absurde, le tragique, le rôle de « l’acteur neutre » etc., concepts fondamentaux dans la recherche esthétique de Gao Xingjian. Là aussi, un jeu de notes foisonnantes apporte une foule de références et de renseignements, ainsi qu’une bibliographie très complète.
La quatrième de couverture indique bien la démarche suivie par l’auteur :
« This book argues that Gao Xingjian's Idea of Theatre can only be explained by his broad knowledge and use of various Chinese and Western theatrical, literary, artistic and philosophical traditions. The author aims to show how Gao's theories of the theatre of anti-illusion, theatre of conscious convention, of the "poor theatre" and total theatre, of the neutral actor and the actor - jester - storyteller are derived from the Far Eastern tradition, and to what extent they have been inspired by 20th century Euro-American reformers of theatre such as Antonin Artaud, Bertolt Brecht, Vsevolod Meyerhold, Jerzy Grotowski and Tadeusz Kantor. Although Gao' s plays and theatre form the major subject, this volume also pays ample attention to his painting and passion for music as sources of his dramaturgical strategies. »Espérons que dans un avenir proche Izabella Łabędzka pourra venir en personne nous parler de cet ouvrage et visiter notre Espace de recherche et de documentation Gao Xingjian.
A propos de Gao Xingjian, on peut suivre ses déplacements à travers les échos que l’on trouve sur Internet, en Espagne par exemple. En décembre, le musée Würth de La Rioja a organisé une grande exposition de ses œuvres récentes sous le titre Después del diluvio, « Après le déluge ». Un bel album, disponible à l’ERD Gao Xingjian contient un texte de Gao Xingjian « De l’esthétique de l’artiste ».
Enfin, à l’occasion de la mise en scène de la pièce Au bord de la vie au Pérou par Marcos Malavia qui avait fait avec Muriel Roland une lecture de cette pièce l’année dernière dans notre université, une interview de Gao Xingjian est disponible sur le site du réseau Asie. Voilà ce qu’il répond à la question « Pensez-vous que votre œuvre puisse avoir la même signification pour le public latino-américain que pour le public européen ? »
« Oui, ça me fascine. Il y a une vive réaction de la part des lecteurs latino-américains. Moi, j’ai une passion pour les auteurs latino-américains, et je connaît assez bien leur travail. Il y a beaucoup de traductions en chinois. Ce n’est pas tellement loin, surtout le réalisme magique. C’est une autre manière de présenter l’absurde, mais qui me parle très bien. Marcos Malavia est bolivien. Il a très bien compris mon théâtre, et il n’y a pas de difficultés de communication avec lui. Ca veut dire qu’on n’est pas si loin les uns des autres.»Signalons enfin que Télé Campus Provence vient de sortir cinq DVD contenant l’ensemble des manifestations de l’ouverture de l’ERD Gao Xingjian, les 26 mars, 2 et 3 avril 2008. Ils seront bientôt consultables en ligne.
J’aimerais aussi signaler deux livres récents : un très beau texte court de Yan Lianke, Les jours, les mois, les années, traduit par Brigitte Guilbaud, aux éditions Philippe Picquier et Chinatown (Seuil, « Cadre vert ») de Thuân, une écrivaine vietnamienne qui vit à Paris. Sa traductrice en français, Doan Cam Thi participe au colloque des 13 et 14 mars de notre équipe sur Littératures d’Asie : traduction et réception.
Et pour les amateurs de littérature comparée, je suggère une comparaison entre Quarante et un coups de canon de Mo Yan et le dernier roman de Yann Queffélec, La Puissance des corps. On s’aperçoit que les affaires de viande trafiquée peuvent survenir aussi bien en Chine qu’en France… Noël Dutrait