lundi 31 décembre 2007

Nouvelle année

Vous le savez, l'année chinoise - celle du cochon - va courir jusqu'au 6 février 2008 avant de laisser, enfin !, place à celle du rat. Mais, en cette soirée du 31 décembre 2007, est venu le moment de vous adresser les vœux de notre équipe pour la nouvelle année du calendrier grégorien. Or donc, bonne année 2008 ; qu'elle vous soit douce et riche en lectures.

Je forme pour ma part le souhait que ce blog continue à vous aider dans votre exploration des littératures d'Extrême-Orient. Il vous a proposé 118 billets en 2007, soit une moyenne d'un billet tous les trois jours. Ce n'est pas si mal, mais loin de suffire pour rendre compte équitablement de l'activité éditoriale et savante dans le domaine des littératures asiatiques, mieux apprécier ses engouements et ses carences, ses emballements et ses négligences. Il faudrait, aussi, à chaque fois, plus de temps pour mieux rendre compte des progrès et des lacunes dans la traduction littéraire des littératures d'Inde, de Chine, du Japon, de Thaïlande, du Vietnam et de Corée.

Il vous a aussi tenu au courant des activités nombreuses et variées de notre équipe et continuera de le faire avec le même dévouement. Il vous associera à ses projets pour l'année qui commence, notamment la création de sa revue en ligne, l'inauguration de l'Espace de Recherche et de Documentation Gao Xingjian à la Bibliothèque Universitaire de Lettres et Sciences Humaines de l'université de Provence les 2 et 3 avril 2008, pour m'en tenir aux deux premiers rendez-vous majeurs.

Merci à ceux qui ont eu la gentillesse de glisser son adresse - http://jelct.blogspot.com/ - dans leurs liens préférés sur leur site ou leur blog, dans la liste de leurs favoris ou en activant le fil RSS qui les avertit aussitôt d'une nouvelle publication. Un salut amical et complice, enfin, à vous qui avez glissé un commentaire et fait preuve de beaucoup de persévérance et d'abnégation en vous penchant sur les devinettes que je vous propose. La prochaine est déjà prête. Mais, trêve de propos oiseux : bonne année à tous. (P.K.)

dimanche 30 décembre 2007

Réponse à la devinette (009)

Il est grand temps pour moi de vous donner la réponse à notre neuvième devinette. L'auteur à découvrir était Sterne, Laurence Sterne (1713-1768), bien évidemment. Vous auriez été tout aussi nombreux à l'identifier si j'avais choisi n’importe quel autre passage de La vie et les opinions de Tristram Shandy, Gentilhomme que ce début du chapitre XXX du volume VII - l'ensemble en compte neuf qui sont répartis en quatre tomes -, et avais, par exemple, retenu la deuxième moitié du chapitre XXXIX du même volume :
« ----- Et là-dessus je partis au galop pour le collège des Jésuites.
Or il en est chez moi du projet que j'avais d'aller lorgner dans l'Histoire de
Chine en caractères chinois ----- comme de tant d'autres que je pourrais citer, et qui ne frappent l'imagination que de loin ; car à mesure qu'inexorablement j'approchais du but ----- mon sang se refroidissait ----- et, insensiblement, l'empire de ma lubie s'effritait vers un néant si fatal qu'à la fin je n'aurais pas donné un fifrelin pour la voir satisfaite ----------- La vérité m'oblige à dire que le temps m'était compté et que mon cœur avait déjà volé au Tombeau des Amants ----- Je prie le Ciel, fis-je, la main sur le marteau de la porte, que la clef de la bibliothèque ait été égarée ; il n'en fut rien, mais le résultat fut le même ----------
Car tous les JESUITES avaient la colique ----- et s'en allaient à ce point par le bas que, du plus loin que remontaient les souvenirs du plus blanchi sous le harnois d'entre tous les praticiens spécialistes de la courante, jamais on n'en avait connu de telle. »
Voici maintenant les liens pour retrouver les deux passages dans leur belle langue d'origine que Guy Jouvet a si bien su rendre en français dans sa traduction intégrale publiée aux Editions Tristram (Auch) en 2004 (939 pages), respectivement pages 716 à 718 et 734 à 735 : pour le premier passage, voir ici pages 109 à 111 & pour le second, voir ici pages 141à 142.

On pourra aussi comparer avec la traduction de 1946 réalisée par Charles Mauron (Vie et opinions de Tristram Shandy, gentilhomme. Flammarion, « GF », 1982, 633 pages avec une préface, une bibliographie, une chronologie et des notes de Serge Soupel), qui a été malheureusement retenue pour l'agrégation 2007 de lettres modernes, sujet de littérature comparée : « Naissance du roman moderne - Rabelais, Cervantès, Sterne », ce dont s'étaient émus Sylvie Martigny et Jean-Hubert Gaillot, dans Le Monde du 6 octobre 2006 - ce texte est reproduit dans le catalogue 2008 des éditions Tristram qu'ils dirigent.

Pour mémoire [merci Fabula.org], la citation à examiner provenait du chapitre XI du volume II :
« Ecrire, quand on s'en acquitte avec l'habileté que vous ne manquez pas de percevoir dans mon récit, n'est rien d'autre que converser. Aucun homme de bonne compagnie ne s'avisera de tout dire ; ainsi aucun auteur, averti des limites que la décence et le bon goût lui imposent, ne s'avisera de tout penser. »
C’est la traduction de ce passage (ici en gras, en ligne ici) :
« Writing, when properly managed (as you may be sure I think mine is) is but a different name for conversation : As no one, who knows what he is about in good company, would venture to talk all ; -- so no author, who understands the just boundaries of decorum and good breeding, would presume to think all : The truest respect which you can pay to the reader's understanding, is to halve this matter amicably, and leave him something to imagine, in his turn, as well as yourself. »
que Guy Jouvet rend par :
« Ecrire un livre, pour qui sait bien s'y prendre (ce qui est, je crois, mon cas avec le mien, comme vous pouvez le constater vous-même) ne diffère en rien de tenir une conversation, à la nuance de vocabulaire près : quiconque connaît les règles et les usages du monde saura tenir sa langue et se gardera bien de tout dire dans une assemblée choisie ; -------- de même, nul auteur connaissant les bornes exactes que lui fixent la bienséance et le savoir-vivre n'aura l'outrecuidance de tout imaginer, et la plus authentique marque de respect qu'il puisse offrir à l'intelligence de ceux qui le lisent est de tout arranger avec eux à l'amiable, les mettant de part à demi dans son affaire et leur laissant, leur tour venu, autant de quoi faire travailler leur imagination qu'il s'en est déjà accordé pour exercer la sienne. » (p. 168)
C'est un peu comme si l'on devait se pencher sur le Xiyouji 西游記 en se bornant à la traduction de Louis Avenol (Le Seuil, 1957) et en snobant celle qu'André Lévy a livrée à « La Pléiade» (1991) - ce que, cela dit en passant, certains n'ont pas hésité à faire récemment en réunissant des textes représentatifs de la littérature chinoise dans un gros volume !

Bon, souhaitons seulement que l'on puisse disposer rapidement des notes et des commentaires associés à cette traduction remarquable ; ceux qui, en 1998, ont acheté le premier tome réunissant les volumes I et II de cette nouvelle traduction du « Livre des Livres » (« book of books », vol. III, chap. XXXI) (Tristram, 460 pages, dont 230 pages de notes serrées) savent ce que l'abandon du projet initial au profit d'une livraison de la traduction seule en un seul volume leur fait perdre --- cet appareil critique devrait être, un jour, disponible en ligne sur Lekti-ecriture.com.

On y trouvera, n'en doutons pas, des informations sur cette Histoire de Chine en trente volumes et en caractères chinois ! Les plus impatients pourront toujours se jeter - s'ils arrivent à mettre la main dessus -, sur l'article de V. R. Baker, « Sterne and Piganiol de la Force: The Making of Volume VII of Tristram Shandy » (Comparative Literature Studies, 1976, vol. 13, n° 1, pp. 5-14), lequel montre qu'en exploitant Le nouveau voyage de France, avec un itinéraire et des cartes faites exprès qui marquent exactement les routes qu'il faut suivre pour voyager dans toutes les provinces de ce royaume. Ouvrage également utile aux Français et aux étrangers (1724) de Jean-Aymar Piganiol de La Force (1673-1753), Sterne a fait preuve, non seulement d'un irrésistible humour, mais aussi d'imagination créatrice. J'ai rapidement parcouru les pages consacrées à Lyon par Piganiol de la Force dans sa précieuse description disponible sur Gallica2 dans un tirage de 1740 sans en trouver mention. La chasse reste donc ouverte. (P.K.)

dimanche 23 décembre 2007

La traduction, seule langue universelle de la littérature

En illustration : montage réalisé à partir d'un cliché du site Nobelprize.org. Voir aussi ici.

« La seule langue universelle de la littérature, c'est la traduction » Cette phrase qui comme me signalait fort justement Noël Dutrait, « devrait figurer au fronton de notre équipe », a été placée par Florence Noiville dans la bouche d'Horace Engdahl dans un article qu'elle lui a consacré dans le Monde des Livres paru le 21/12/07 sous le titre « Horace Engdahl : le faiseur de Nobel » :

Celui qui nous est présenté comme « l'homme le plus courtisé du monde des lettres », ne livre aucun secret sur les débats qui animent tous les ans l'académie dont il est depuis 1999 le secrétaire perpétuel : il fait mieux. Il constate que les écrivains que le comité Nobel prime :
«sont souvent des exilés, qu'ils aient fui hors de leur pays ou à l'intérieur d'eux-mêmes. En cela, ils sont plus des représentants de la « Weltliteratur » que de leur nation. C'est pourquoi, souvent, leurs concitoyens auraient préféré que nous ne les récompensions pas ou alors que nous couronnions quelqu'un d'autre à leur place ! (...) Les grands écrivains sont une menace pour leur peuple. C'est seulement une fois morts qu'ils cessent d'être un problème. Alors l'opinion change et, d'enfants prodigues, ils deviennent tout simplement des dieux.»
Un peu avant, évoquant le reproche que l'on fait au comité Nobel de négliger la littérature des Etats-Unis, Horace Engdahl conclut par cette déclaration :
« Je ne trouve pas que les Etats-Unis soient le centre du monde littéraire. L'anglais est une langue importante, mais ce n'est pas la langue universelle. La seule langue universelle de la littérature, c'est la traduction. »
Voilà qui tombe à pic pour réveiller ceux dont l'enthousiasme aurait été victime des désagréments que nous a amenés cette fin d'année. Qu'ils sachent que notre équipe a pris la sage décision de leur donner un délai supplémentaire pour participer au numéro inaugural de notre revue en ligne, Impressions d'Extrême-Orient. Ils ont, vous avez, jusqu'au 7 janvier pour nous envoyer [en respectant les règles de format et de présentation indiquées ici ou ] une traduction inédite d'un texte en rapport avec le thème retenu :

le voyage.


Les organisateurs du concours « A la découverte des grandes œuvres de la littérature coréenne » ont également été amenés à reporter au 4 février la clôture de cette épreuve. [voir ici ou ]

Que les vacances de Noël - qu'au nom de l'équipe, je vous souhaite douces et réparatrices -, vous permettent de vous appliquer à pratiquer, selon votre bon vouloir, cette belle langue universelle qu'est la traduction. (P.K.)

jeudi 20 décembre 2007

La poignante mélancolie des choses

C’est depuis Hanoi où elle se trouve en cette fin d’année que Nguyen P. Ngoc nous a fait parvenir ce billet sur un ouvrage de Minh Tran Huy (1979-) qu’elle nous invite à lire :

Pour vos vacances, voici une nouvelle du Vietnam. La princesse et le pêcheur (Actes Sud, 186 p.), le premier roman de Minh Tran Huy (actuellement rédactrice en chef adjointe au Magazine littéraire) est certes écrit en français, mais raconte une histoire imprégnée de l’histoire et de la culture vietnamiennes.

Je dois avouer que j’ai été curieuse, en lisant des comptes rendus dans la presse, de savoir ce qui se trouve derrière ces formules vagues « de la quête initiatique » et « de la recherche d’identité » auxquelles se livre l’héroine, sans doute assez proche de l’auteur, une jeune femme « née en France mais élevée dans la tradition vietnamienne ». Je me suis donc procuré le livre, et il faut dire que j’ai été agréablement surprise.

Je ne vais pas vous résumer le roman (il faudrait le lire…), mais sachez qu’il s’agit d’une histoire d’amour. Une histoire entre elle, jeune Française d’origine vietnamienne, et lui, un « boat people » qui vient d’arriver en France. Le problème, c’est qu’elle a l’impression qu’il la considère comme une petite soeur…

Cela explique sans doute le fait que les chapitres soient introduits par les extraits en italique tires d’un conte vietnamien. Très célèbre, il est associé à des sites connus sous le nom de Hon Vong Phu, souvent un piton rocheux dans lequel la population locale reconnaît la forme d’une femme debout avec un enfant dans les bras qui semble regarder dans le lointain. La légende raconte que cette femme est montée sur la montagne pour guetter le retour de son mari (de la guerre ou d’un voyage selon les versions) jusqu’à se métamorphoser en pierre. La version choisie par Minh Tran Huy est celle qui raconte l’histoire d’un frère et d’une soeur qui sont devenus, après une longue séparation pour échapper au destin, mari et femme. Un jour, ayant vu une cicatrice sur la tête de sa femme, le mari découvre la vérité. Bouleversé, il part sans rien dire, et la femme l’attend toujours...

Le conte s’achève en même temps que l’héroïne prend conscience d’elle-même. C’est une histoire d’amour sans happy-end, et sans désespoir. On n’y trouve pas de coupable, ni de victime. Juste des choses de la vie racontées avec simplicité, avec un petit pincement au coeur.

Nguyen P. Ngoc (Hanoi, décembre 2007)


Dans l’interview qu’elle a accordée à Claire Simon pour Evene.fr en août dernier [voir ici], Minh Tran Huy parle des livres et des rencontres qui l’ont marquée, dont celle de l’écrivain japonais Murakami Haruki 村上春樹 (1949-) :
« Plus largement, le roman est un hommage à Murakami, et plus particulièrement à ce que les Japonais appellent le « mono no aware », la « poignante mélancolie des choses », et qui désigne le sentiment qui vous envahit lors de la chute des feuilles en automne, ou de la disparition de l'être aimé au détour d'un chemin... Je voulais que La Princesse et le pêcheur donne à ressentir la nostalgie de ce qui a été et n'est plus. »
On pourra donc continuer la découverte de cet espace de la mélancolie en abordant l’œuvre de cet écrivain, un temps pressenti pour le Nobel de littérature 2007 et dont pas moins de treize titres ont déjà été traduits en français, dont Kafka sur le rivage (海辺のカフカ, 2002, Belfond, 2006). On prendra garde de ne pas le confondre avec Murakami Ryû 村上龍 (1952-) également bien connu chez nous, confusion contre laquelle Marjorie Alessandrini nous met en garde dans le dernier billet - « Un Murakami peut en cacher un autre » - de son blog Impressions d'Asie sur le site littéraire de NouvelObs.com, BibliObs.com. (P.K.)

vendredi 14 décembre 2007

Enfers et édition

En illustration : détail d'une photo d'une des tours de la BNF. Source cnsphoto.
Voir l'article de Chinanews.com attaché à ce cliché, ici.

Comme l'écrit si bien Michel Delon, « la Bibliothèque nationale s'exhibe », « se retrousse » entre le 4 décembre 2007 et le 2 mars 2008 ; elle expose son « Enfer » [Voir ici]. Cet événement culturel abondamment commenté dans les médias et accompagné d'un catalogue de 470 pages (Ed. de la BNF), a conduit le Magazine Littéraire à consacrer un dossier à cette part souvent occultée de la littérature française et mondiale : « Les enfers du sexe de Sade à Houellebecq » [n° 470, décembre 2007, pp. 28-64]. L'essentiel du dossier se penche sur le rapport que la France a entretenu avec ses débordements littéraires et artistiques avec une foule de références bibliographiques [voir le complément en ligne, ici] et d'illustrations dont des trésors d’édition rarement exposés. Pages 58 à 63 - « Le monde selon X » -, il est question de la manière dont le sexe s'écrit sous différentes longitudes des Etats-Unis à la Chine, en passant par l'Inde et le Japon, mais aussi les Caraïbes, l'Afrique, l'Espagne et les pays arabes.
Dans sa présentation de « L'érotisme sans tabou » du Japon, Claude Michel Cluny évoque Kawabata Yasunari 川端康成 (1899-1972), Tanizaki Jun'ichirô 谷崎潤一郎 (1886-1965), Nosaka Akiyuki 野坂昭如 (1930-), Mishima Yukio 三島由紀夫 (1925-1970), Shintaro Ishihara 石原慎太郎 (1932-), Abe Kôbô 安部公房 [ (1924-1993) et les nouvelles tendances de la création littéraires contemporaines qu'on peut découvrir grâce à différentes anthologies, mais signale aussi l'influence très grande prise ces dernières années par le manga et le cinéma. Pour poursuivre cette découverte et l'élargir, je vous conseille de vous rendre sur Shunkin.net, excellent site entièrement consacré à la littérature japonaise et à son actualité.

Directeur de la collection « Domaine indien » aux éditions du Cherche Midi, Jean-Claude Perrier traite, pour sa part, de cette nouvelle littérature indienne qui « a mis longtemps à s'affranchir de l'héritage castrateur de la prude Angleterre victorienne », « renouant ainsi avec la tradition hindoue, celles des amours tumultueuses et polymorphes de ses dieux » qu'on trouve notamment dans le Kama-sutra. Son billet – « Des écrivains décomplexés » - consacre quatre auteurs, savoir Tarun Tejpal, Upamanyu Chatterjee (1959-), Abha Dawesar (voir ici), tous trois présents au Salon du livre de Paris de cette année, et Raj Rao qui « a offert à l'Inde son premier roman homosexuel » (Boyfriend. Le Cherche Midi, 2005).

« Une obsession contemporaine » est le titre que Noël Dutrait a donné au volet chinois de ce survol oriental et dans lequel il rappelle le rôle pionnier joué par Jia Pingwa 賈平凹 (1952-) dans l'évocation, ou plutôt son scandaleux contournement, de la sexualité dans sa Capitale déchue (1997, trad. de Feidu 廢都, 1993). Avant lui, un seul nom : celui de Liu Xinwu 劉心武 (1942-) pour une nouvelle de 1982, « premier texte, osant évoquer l'amour légitime entre hommes et femmes » après la Révolution culturelle ; après Jia, rien ne va plus comme avant : des auteurs de qualité - Wang Xiaobo 王小波 (1952-1997), Mo Yan 莫言 (1956-), Yan Lianke 閻連科 (1958-), Gao Xingjian 高行健 - font une place importante au sexe, et des jeunes femmes délurées - Mian Mian 棉棉 (1970-), Wei Hui 衛慧 (1973-), Mu Zimei 木子美(1978-) - en font le seul argument de leurs autofictions.

Cette synthèse sur la situation chinoise peut être complétée par la lecture du Petit précis à l'usage de l'amateur de littérature chinoise contemporaine que Noël Dutrait a révisé et augmentée l'année dernière [Philippe Picquier, (2002) 2006] et un coup d'oeil aux actes de notre colloque passé « Traduire l'amour, la passion, le sexe dans les littératures d'Asie » (Aix-en-Provence, 15-16/12/06) [ici] qui fournit des aperçus sur des espaces et des époques que le Magazine littéraire et ses collaborateurs ont dû laisser dans l'ombre faute d'espace ou de curiosité.

NB : Certaines des communications données en décembre dernier n'ont pas encore été mises en ligne ; le tableau n'est donc pas encore complet --- gloire en soit rendue aux adeptes de la procrastination au long cours ! M'inspirant de leur art du savoir surseoir, je remets à plus tard la publication de la suite naturelle de ce billet qui est une modeste présentation de ce qu’on peut lire en français de la littérature érotique de la Chine ancienne. A Diable sait quand, donc ! (P.K.)

mercredi 12 décembre 2007

Devinette (009)

Deuxième illustration du chapitre 43 du Sanguo yanyi 三國演義
dans l’édition intitulée Li Liweng piyue Sanguozhi 李笠翁批閱三國志 (1680)

[Li Yu quanji 李漁全集, Hangzhou : Zhejiang guji, 1991, vol. 10-11]

Cette devinette est dédiée avant tout à tous ceux qui sont privés de l'occasion de donner toute la mesure de leurs compétences et qui en sont contrariés.

La situation actuelle faite aux étudiants de l'Université de Provence, par exemple, et à leurs maîtres par la même occasion, renvoie immédiatement à une formule que l'on trouve chez le Sima Guang 司馬光 (1019-1086) du Zizhi tongjian 資治通鑑 (Miroir complet sur l'illustration du gouvernement), fresque historique retraçant la période de l'histoire de Chine qui court entre 405 av. J.-C. et l'an 959, dont Zhu Xi 朱熹 (1130-1200) donna un abrégé fameux - le Tongjian gangmu 通鑑綱目, qui servit de base au Français Joseph-Anne-Marie de Moyriac de Mailla (1669-1748) pour établir son Histoire générale de la Chine ou Annales de cet Empire traduites du Tong-Kien-Kang-mou en treize volumes publiés entre 1777 et 1785. Cette formule, la voici : yīng xióng wú yòng wǔ zhī dì 英雄無用武之地. Malgré sa nature et sa longueur, elle figure dans tous les dictionnaires de chengyu 成語 et accepte la traduction littérale suivante : « le héros n'a pas de champ de bataille pour faire la démonstration de ses talents militaires ». (Le pluriel est également possible)

Sima Guang l'a puisée dans le Sanguozhi 三國志 (Chronique des Trois Royaumes) de Chen Shou 陳壽 (233-297) où elle figure sous une forme légèrement différente [yīng xióng wú sǔo yòng wǔ 英雄無所用武, « Zhuge Liang zhuan » 諸葛亮傳 {4: 911-937}, Beijing : Zhonghua shuju, p. 915]. On la retrouve tout naturellement au chapitre 43 du roman, le Sanguo yanyi 三國演義 (Beijing : Renmin wenxue, 1985, p. 374), où ce passage de la biographie de Zhuge Liang 諸葛亮 (181-234) est repris assez fidèlement.

On la rencontre encore dans bien d'autres romans anciens pour exprimer l'incapacité de faire montre de ses dons, comme le Général Li Meng 李蒙 dans le huitième conte du Gujin xiaoshuo 古今小說 (1620) qui sera placé en onzième position du Jingu qiguan 今古奇觀 d'où il a été traduit [R. Lanselle, Spectacles curieux d'aujourd'hui et d'autrefois, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1996, p 409 : « Le général Li Meng, bien que vaillant et crâne, ne pût, hélas ! en ces circonstances, donner toute la mesure de ses talents guerriers », 李都督雖然驍勇。奈英雄無用武之地。, passage que le Marquis d'Hervey-Saint-Denys (1822-1892) rend piteusement dans « Véritable amitié » (Six nouvelles nouvelles chinoises. Paris : Bleu de Chine, 1999) par « Li Meng était brave ; mais il comprit que la bravoure ne lui servirait plus de rien » (p. 101) !]. Mais, on le voit, grâce notamment à Li Yu 李漁 (1611-1680), on peut employer cette citation dans un contexte plus léger. Au chapitre six du Rouputuan 肉蒲團 (Chair, tapis de prière, 1658), il la place dans une réplique de Weiyangsheng 未央生 à son mentor qui l'interroge sur la taille de son « arme », les mots suivants : 如今祇為沒有婦人。使英雄無用武之地。[Taibei : Daying baike, « Siwuxie huibao », vol. 15, p. 237] que Patrick Hanan, auteur de la meilleur traduction disponible de ce chef-d'œuvre du roman érotique chinois, rend finement par : « I have no woman at present, so I'am a warrior without a battlefield. » (The Carnal Prayer Mat. New York : Ballantine, 1990, p. 96). Dans le même esprit, Li Yu y a de nouveau recours dans le « Shijin lou »十巹樓, huitième récit des Shi'er lou 十二樓 (1658)] dont il est question ici.

Mais quel que soit le contexte - amoureux, militaire ou universitaire - il est question de contrariété d'où le choix du texte retenu pour cette devinette qui ne devrait pas retarder ceux qui en ont d'ordinaire l'usage de reprendre, dès que possible, le chemin des amphis et des salles de cours :
Pour tous ceux qui, sachant de quoi ils parlent, appellent contrariété une CONTRARIETE, il ne saurait en exister de pire que de passer la plus grande partie de la journée à Lyon, Lyon, la ville la plus opulente, la plus prospère de France, la plus riche en vestiges de l'Antiquité ---- et de ne pouvoir la visiter. En être empêché pour une quelconque raison, c'est déjà forcément une contrariété ; mais en être empêché par une contrariété --- c'est sans nul doute ce qu'en bonne philosophie l'on nomme

CONTRARIETE
sur
CONTRARIETE.

Je venais de lamper mes deux écuelles de café au lait (soit dit par parenthèse, ce mélange est un excellent remède contre la consomption, mais lait et café doivent être bouillis ensemble ----- sinon vous n'avez que du café et du lait) ----- et, comme il n'était que huit heures du matin, et que le bateau ne partait pas avant midi, j'avais le temps de visiter assez de Lyon pour lasser la patience de tout ce que j'ai d'amis de par le monde à le raconter. Je m'en vais faire un tour à la cathédrale, fis-je en consultant ma liste de choses à voir, et verrai donc en premier le prodigieux mécanisme de la grande horloge que nous devons à Lippius de Bâle -----
Or, de toutes les choses au monde, la mécanique est bien celle à quoi je m'entends le moins ----- je n'ai pour cela ni don, ni goût, ni tendresse particulière ----- et mon cerveau est si absolument hermétique à tout ce qui touche à la branche, que, je le déclare solennellement, je n'ai jamais réussi à comprendre le mécanisme d'une cage d'écureuil ou d'une vulgaire roue de rémouleur ----- bien que j'ai passé nombre d'heures de ma vie à contempler la première avec une attention zélée ---- et que j'aie fait le piquet auprès de la seconde avec plus de patience que n'en a jamais eu à le faire aucun chrétien -----
J'irai donc voir les surprenants mouvements de cette fameuse horloge, fis-je, c'est la toute première chose que je ferai, puis j'irai visiter la grande bibliothèque des Jésuites, où je tâcherai de consulter, si c'est possible, les trente volumes de l'Histoire de Chine, écrite (non en tartare mais) en chinois, et en caractères chinois par dessus le marché.
Or, vu que je connais pour ainsi dire aussi mal le chinois que le mécanisme de l'horloge de Lippius, on se demande bien quel prodige ces deux articles ont ainsi joué des coudes pour prendre les deux premières places dans ma liste de choses à voir ----- je laisse donc aux amateurs de curiosités le soin de résoudre ce problème, un problème comme seule sait nous en poser la Nature. Cela m'a en effet, je l'avoue, tout l'air d'une des extravagances tout à fait intentionnelles de cette capricieuse Dame, et ceux qui la courtisent ont autant d'intérêt que moi à deviner ce qui se cache derrière ses fantaisies.
Vous avez compris : il faut identifier l'auteur de ce texte. Bonne chance ! (P.K.)

vendredi 7 décembre 2007

Une visite à Singapour

Une grande exposition des peintures de Gao Xingjian se déroule en ce moment à l’iPreciation Gallery de Singapour. Ce fut l’occasion pour notre prix Nobel 2000, de s’entretenir publiquement en différents endroits de la citée-Etat.

Ce fut le Lycée français de Singapour qui a accueilli le premier jour Gao Xingjian et moi-même pour une rencontre avec les lycées français et leurs professeurs. Gao Xingjian a retracé son parcours d’écrivain, de traducteur, de peintre, d’auteur d’opéra, et même de film… J’ai moi-même raconté comment j’avais rencontré Gao Xingjian dès 1978, comment j’avais commencé à traduire ses œuvres, comment Liliane Dutrait et moi avions entretenu une longue relation avec Gao Xingjian tout au long de notre travail de traduction. Les lycéens et leurs professeurs ont été séduits par la gentillesse et la disponibilité de Gao Xingjian et ont posé de nombreuses questions auxquelles Gao Xingjian a répondu avec beaucoup d’enthousiasme.

Puis le Lycée français a organisé une rencontre avec les élèves de l’option théâtre qui avaient travaillé avec leur professeur sur la pièce de Gao Xingjian Quatre quatuors pour un week-end. Malheureusement, le Maître avait dû partir, happé par les nombreuses interviews sollicitées par les médias. Une rencontre avec les élèves de chinois et leurs professeurs m’a permis de leur transmettre quelques idées au sujet de la traduction du chinois et de les encourager à progresser dans l’étude de cette langue. Pour pouvoir un jour peut-être traduire un roman chinois, une occupation excellente selon Heine

Cette visite de Gao Xingjian à Singapour a été aussi pour lui l’occasion de montrer son film La Silhouette sinon l’ombre (Silhouette/Shadow) réalisé avec Alain Melka et Jean-Louis Darmyn en 2006 (ce film avait été présenté en avant-première à Aix-en-Provence en juin 2006, en présence des réalisateurs). Un très beau livre de Fiona Sze-Lorrain aux éditions Contours [Silhouette/Shadow. The Cinematic Art of Gao Xingjian, Paris] a été présenté à cette occasion, dans lequel on trouve un texte de Gao Xingjian au sujet de sa conception esthétique du cinéma. Une fois de plus, Gao Xingian a créé une oeuvre totalement nouvelle, en dehors de la mode et des tendances actuelles.


Un autre moment fort de cette visite a été la cérémonie au cours de laquelle Gao Xingjian a fait don au Musée d’Art Moderne de Singapour (le SAM) d’un tableau géant intitulé Day and Night. Cette encre de Chine sur papier mesure 193 x 471 cm !


Enfin, une conférence/dialogue de Gao Xingjian et moi-même a été organisée à la National University of Singapore par l’Ambassade de France et l’East Asian Institut de cette université. (Voir ici) Gao Xingjian a réaffirmé sa position d’artiste « mondial », qui n’attache pas d’importance particulière à sa nationalité. Il a réaffirmé aussi que la littérature et l’art ne servaient pas à « sauver le monde » et n’y parviendraient jamais.


Individu isolé et fragile, Gao Xingjian a passionné son nombreux public aussi bien lors de la rencontre au Musée d’art moderne de Singapour qu’à l’université. La notion de « nation chinoise » est très forte dans l’esprit des intellectuels de Singapour et nul doute que la tranquille assurance de Gao Xingjian qui montre son indépendance d’esprit par rapport à la grande Chine a interpellé les participants à ces rencontres.

Le succès de cette visite, amplement rapportée par les medias de Singapour et d’autres régions d’Asie, montre que la voix originale de Gao Xingjian reçoit un grand écho auprès du public partout dans le monde ... (Noël Dutrait)

Ajout du 10/12 : on peut voir une vidéo de la rencontre du 24/11, sur Youtube >> ici.

mercredi 5 décembre 2007

Réponse à la devinette (008)

En illustration, les deux autres gravures reproduites par Pierre Palpant d'après l'édition originale des Deux cousines.

C'était pourtant bien parti. Le jour même de la publication de cette huitième devinette, Mathieu X. avait déjà identifié le roman chinois dont le titre traduit était proposé dans sa formulation française des Deux cousines comme étant le Yu Jiao Li 玉嬌梨. C'était le plus facile. J'en avais, en effet, déjà parlé ici et où je fournissais une illustration qui devait lever les dernières hésitations, et avait promis de rendre, un jour prochain, justice au traducteur Abel-Rémusat (1788-1832) en mettant en exergue ses avis sur la traduction des romans chinois - j'y travaille.

Il ne restait plus qu'à trouver le signataire de cette lettre dans laquelle celui-ci avoue son engouement pour ce roman. Lui aussi avait fait l'objet d'un billet, mieux, d'une devinette, la cinquième qui vous avait tenu en haleine au début de l'été [Voir ici et ]. Et puis, depuis dix jours, plus rien ! Alors, ne perdons plus de temps, il s'agissait (à nouveau) de Heinrich Heine (1797-1856) qui avait écris cette lettre de Potsdam, le 5 juin 1829.

Certes, L.D. l'avait deviné grâce, a-t-elle avoué, à Gallica2 qui propose une édition française de la correspondance de Heinrich Heine [Correspondance inédite. Paris : Michel Lévy Frères, 1866. Voir page 38/39 du livre ou 45/46 du document pdf], mais elle avait eu la délicatesse de ne révéler que le prénom de l’auteur ; Mathieu, de son côté, avait fait preuve d'une grande perspicacité en postulant que le rédacteur avait écrit en allemand, et de persévérance en proposant le peintre autrichien Koloman Moser (1868-1918), dit Kolo, comme destinataire possible.

Effectivement, Heine, qui maîtrisait parfaitement notre langue, avait écrit en allemand car il s'adressait à son ami Moses Moser (1796-1838) dont la Jewish Encyclopedia en ligne [qui pour l'occasion - voir ici - met à contribution G. Karpeles, Heinrich Heine, Aus Seinem Leben und Seiner Zeit, pp. 66 et seq. - merci à N.I. pour l'information] nous apprend qu'il fut un « German merchant (...), educated for a business career, and was for a time an assistant of the banker Moses Friedländer in Berlin. Afterward he became the confidential cashier of Moritz Robert there. Moser had considerable mathematical talent; and he also studied philology. With [Eduard] Gans [(1797 ou 1798-1839)] and [Leopold] Zunz [(1794-1886)] he helped to found the Verein für Kultur und Wissenschaft des Judenthums. He thus became friendly with Heine, who had a high opinion of his ability and character. (…) Many of Heine's most intimate letters were addressed to Moser, who was his closest friend up to the year 1830. »

Le texte original de la lettre se trouve sur Das Heinrich-Heine-Portal avec ses notes et ses gloses, voir ici. On y lit notamment la note suivante : « den beiden Cousinen – Heine las den Roman des französischen Sinologen Abel Rémusat, Fu-kiao-li, ou Les deux cousines, Paris 1826. Er war in Deutschland unter dem Titel »Ju-kin-li oder die beiden Basen« (Stuttgart 1827) erschienen. »

Voici pour conclure, voici la fin de la lettre de Heine de sa version allemande :
« Ich bitte Dich, laß das Sanskritt liegen u lerne chinesisch u überstze mir einen chinesischen Roman; das ist das beste was einer thun u lesen kann. Seit meiner Bekanntschaft mit den beiden Cousinen ist meine Seele in Peking, Nangink u To-tzong, ja in Orten die meine Zunge nicht einmahl aussprechen kann. Ich umarme Dich; leb wohl. Dein Freund. H. Heine. »
Et vous, pensez-vous que Heinrich Heine a raison lorsqu'il conseille à son ami d'apprendre le chinois et lui demande de traduire un roman chinois, car « c'est ce qu'il a de mieux à faire et à lire » ? (P.K.)

vendredi 30 novembre 2007

De l’intraduisible

En illustration : des pictographes Naxi (Yunnan, Chine, XVIIIe s.).
Source : The Schoyen Collection



L’Ecole doctorale « Langues, Lettres et Arts »
de l’Université de Provence
propose le lundi 17 décembre 2007,
une Journée doctorale sur le thème

« Traduire l’intraduisible »

pendant laquelle sont attendus neuf orateurs. Pour la plupart doctorants, ils partageront la vedette avec des professeurs de notre université et des chercheurs extérieurs à elle. En attendant sa version définitive, voici un rapide aperçu du programme de cette journée qui fera une place relativement importante à la littérature chinoise et à sa traduction.

Noël Dutrait ouvrira la journée avec une communication intitulée « Quelques exemples de difficultés dans la traduction des temps dans les romans de Gao Xingjian et de Mo Yan ». Juste avant la pause de la matinée, c’est He Hongmei (doctorante en littérature française) qui parlera des « Traductions de Proust en Chine ». Dans l’après-midi, à 16 h. précisément, Solange Cruveillé (doctorante en littérature chinoise) s’attachera à « La traduction des images érotiques dans un conte de Zhou Qingyuan ».

Il sera également question de Stanislaw Ignacy Witkiewicz (1885-1939) avec Ewa Adamusinska (9 h 35), des premières traductions de Don Quichotte en France avec Laurie Brun (10 h), de Primo Levi (1919-1990) avec Chiara Montini (16 h 25), d’Antonin Artaud (1896-1948) traducteur avec Claire Pegon (Professeur de littératures anglophones, Université de Provence, 16 h 50). Les autres communications toucheront à des sujets tels que « Traduire l’intraduisible : une approche post-coloniale » par Sabine Savornin (11 h 25), « La musique populaire dans le roman africain francophone et hispano-américain » avec Vanessa Chaves (11 h 50), de la traduction dans le contexte des consultations d'ethnopsychiatrie avec Lauriane Courbin (14 h 25), des « Normes de traduction et contraintes sociales » avec Gisèle Sapiro (CNRS, Centre de sociologie européenne, Paris) et, à 14 h, de « Saudade » avec Inès Oseki-Dépré (Professeur de littérature générale et comparée, Université de Provence) dont la riche bibliographie s’est enrichi au printemps dernier d’un nouveau titre De Walter Benjamin à nos jours… (Essais de traductologie) [Paris, Honoré Champion, 2007]. Plusieurs respirations sont prévues pour permettre d’amorcer des discussions entre tous les participants à cette journée, dont je vous communiquerai bientôt le lieu où elle va se dérouler.



De l’intraduisible, il en est également question dans un ouvrage qui devrait retenir l’attention de toute personne s’intéressant à la traduction, à la langue, à la littérature ... Il s’agit d’Ethique et politique du traduire qu’Henri Meschonnic vient de publier aux Editions Verdier (Lagrasse, 2007, 189 p.). Voici un cours passage de cet essai qui fait suite à de nombreux travaux sur la traduction et plus directement à Poétique du traduire (Verdier, 1999) qu’il convient, me semble-t-il, d’avoir fréquenté avant de s’embarquer dans la lecture de ce nouvel opus:
« Il n’y a pas de problème de traduction. Il n’y a pas d’intraduisible. Il y a seulement le problème de la théorie du langage qui est à l’œuvre dans l’acte de traduire, qu’on le sache ou non. Le résultat de cette activité est un produit qui varie en fonction de cette théorie, de telle sorte que toute traduction, avant même de montrer ce qui éventuellement reste de ce qu’elle avait à traduire, montre d’abord sa représentation du langage, et sa représentation de la chose nommée littérature, ou poésie. » [p. 38]
Loin de s’attacher à une simple approche pratique, le poète et traducteur, affirme [p. 38-39] que « l’enjeu du traduire est de transformer toute la théorie du langage » , « c’est-à-dire tout le rapport pensé entre le langage, la poésie, la littérature, l’art, l’éthique, la politique, pour en faire une poétique de la société. Cela passe inévitablement par le risque, ou plutôt la certitude, de ne pas être entendu sauf de quelques-uns, étant donné l’établissement de longue date des idées reçues, établissement qui ne conçoit ces activités que séparées les unes des autres, comme le montre l’état du savoir, l’état des sciences humaines et de la philosophie, l’état de l’Université. La théorie du langage, au contraire, est la pensée du continu et de l’interaction entre ces activités. »

A côté de cet essai exigeant à l’écriture inspirée qui, au fur et à mesure que je le découvre, me semble essentiel, les Expériences de la traduction d’Umberto Eco [Dire presque la même chose. Paris : Grasset, 2007, traduction par Myriem Bouzaher de Dire quasi la stessa cosa. Esperienze di traduzione (2003)], que je peine à achever, passent pour un catalogue, certes foisonnant, instructif, parfois distrayant, mais un peu décevant et sans perspective, des bizarreries et des difficultés de la traduction. Certes l’ouvrage peut devenir un vade-mecum utile à tous les traducteurs amateurs ou confirmés, mais il lui manque une vision directrice qui pourrait faire oublier le point de vue égocentrique quelque peu asphyxiant de chacun des 14 exposés successifs présentés par le brillant professeur italien. Les approches sont à ce point éloignées que la riche bibliographie de 16 pages qui conclut ce Dire presque la même chose ne fait pas mention des essais d’Henri Meschonnic ou même de ses traductions. On imagine pas même un instant ce dernier se livrer à une campagne de promotion dans laquelle l’auteur du Nom de la rose s’est montré expert, quand il écrit (ibidem) :
« On me dit que c’est difficile à comprendre et qu’il faudrait écrire pour le grand public. C’est d’une méconnaissance profonde de ce qu’a toujours été le travail de la pensée. Ce qu’on appelle le grand public n’est autre que l’effet social de tous les académismes de cet établissement*, qui définissent leur horizon d’attente comme le territoire du pensable. Ce qui en diffère et qui s’y oppose est à la fois ce qui passe pour difficile et qui est aussitôt rejeté et mis au silence. Rien de nouveau sous le soleil, puisque la pensée est une folie qui veut changer le monde, par rapport au maintien de l’ordre. Mais c’est le poème de la pensée. » [* voir la citation précédente]
Il n’en reste pas moins que l’auteur d’une œuvre considérable où se croisent essais, poésie et traductions et qui fut professeur de linguistique et de littérature à l’université Paris VIII ne manque pas d’humour quand il écrit : « Nous pensons comme un saucisson coupé en tranches pourrait penser, s’il pensait. De fait, nous ne valons guère mieux. » (p. 19) Tentons, pour le moins, de ne pas finir en rondelles et de trouver, chez les uns ou les autres, selon ses goûts et ses aspirations, le liant qui permette de rester entier le plus longtemps possible. (P.K.)

Asia

Alors que la tendance du moment favorise la presse en ligne, deux titres viennent de voir le jour. Leur objet : l’Asie. Il convient donc de les connaître et de les mettre en observation !


Asia Magazine

m’a été signalé par Solange Cruveillé qui nous le présente :

Signalons l’arrivée dans les kiosques d’un nouveau magazine de société dédié exclusivement à l’Asie. Asia, qui nous propose de « comprendre l’Asie d’aujourd’hui », est né de la collaboration entre le journaliste Pierre-Yves Bénoliel (Directeur de la rédaction), le créateur d’entreprises Philippe Pascot (Directeur administratif), le sinologue et journaliste Alain Wang (Rédacteur en chef) et Philippe Hofstetter (ancien du groupe Bayard Presse, Directeur artistique). L’idée de publier un magazine consacré à l’Asie est née du constat de « l’absence en français d’un magazine grand public qui soit consacré à l’Inde, au Japon, à la Corée, à la Chine… à l’Asie dans toute sa globalité et sa diversité, alors que la mutation rapide de cette région du monde nous concerne de plus en plus. » Les chroniqueurs sont des spécialistes de divers pays asiatiques ainsi que des correspondants sur place (journalistes, chercheurs, traducteurs…). Ont notamment participé à ce premier numéro Joris Zylberman, philosophe de formation, sinologue et journaliste, Jean-Philippe Chameau, diplômé de l’Institut des Langues Orientales de Paris en japonais, et Cyrille J.-D Javary, traducteur du Yijing.

Le numéro de lancement nous livre un panorama social, politique et économique de pays en pleine évolution dans cette région du monde : la situation politique à Hong Kong et les bouleversements vécus ces dix dernières années (Hélène Guillez), les stratégies de croissance en Corée du Sud (Alain Wang), l’attrait économique de l’Inde (Michel Testard), le choix du libéralisme économique au Vietnam (Alain Wang), et enfin une interview de Jean-Luc Domenach (Directeur de recherche au CERI) qui donne des pistes pour Comprendre la Chine d’aujourd’hui, titre de son dernier ouvrage chez Perrin. D’autres sujets éveillent la curiosité et l’intérêt du lecteur : les Japonaises d’aujourd’hui (« Femmes au foyer… contre Business women », Anne Garrigue et Sylvie Chevallier) ou encore la vie animée à Shanghai (« Le retour des années folles », Joris Zylerman). Côté culture, à signaler un article dans la rubrique « Expo » intitulé « De l’Inde au Japon » (Geneviève Lamoureux), avec la présentation des dernières acquisitions du Musée Guimet, ou encore l’article de C. Javary sur « La modernité de Confucius ».

Ce Yazhou zhoukan 亞洲週刊 bimensuel à la française comporte en outre plusieurs rubriques vivantes et actuelles : un rapide état des lieux (« l’Asie en bref », qui passe en revue différents événements majeurs économiques et politiques de ces deux derniers mois), une rubrique « Evénements », qui nous informe des expositions, manifestations culturelles et artistiques (musique, danse, théâtre…), une rubrique « Coups de cœur » qui présente des lieux inédits aux voyageurs, un coin « Saveurs d’Asie » qui traite ici des « Plaisirs du washoku au Japon », et enfin une rubrique « Livres » avec les nombreuses nouveautés des maisons d’édition dont une présentation par Luce Petit du livre Couleurs de nuage de Feng Zikai 丰子恺 (1898-1975) traduit du chinois par Marie Laureillard aux Editions Bleu de Chine. Le tout est richement illustré, avec de nombreuses interviews et surtout des notes bibliographiques réparties au fil des pages. Enfin, on apprécie la présentation originale qui intègre dans chaque article le drapeau du pays dont il est question.

Le contenu de ce magazine est certes éclectique et vulgarisateur, mais a néanmoins le mérite de traiter de l’Asie dans son ensemble, que ce soit géographiquement ou thématiquement, pour la présenter à un public assurément croissant d’amateurs et de spécialistes. Souhaitons donc bonne chance à cette équipe novatrice. (S.C.)



Dans un tout autre registre mais avec un titre qui pourrait induire en erreur, voici une revue pour un public beaucoup plus restreint, Score Asia. Son projet est de « parler des cinémas d'Asie, qui connaissent actuellement une vague d'intérêt croissante en France et plus largement en Occident, mais qui restent étonnamment (et tristement) en retrait dans la presse hexagonale. » Seront, à travers le prisme du cinéma, également abordés d’autres aspects de ce que les promoteurs de cette publication appellent les « pop cultures d'Extrême-Orient », savoir la bande dessinée, la musique et également les sports de combat. Cette revue, dont le numéro 1 peut se feuilleter en ligne à partir d’ici, paraîtra tous les deux mois. Je vous recommande cette page qui est consacrée au dernier film de Ang Lee 李安, Lust, Caution《色,戒》, sur lequel nous reviendrons un de ces prochains jours. (P.K.)

jeudi 29 novembre 2007

A Writer For His Culture, A Writer Against His Culture

Appel à contribution / Call for papers:

A Writer For His Culture,
A Writer Against His Culture :

Gao Xingjian


International conference organised by
The Chinese University of Hong Kong
(CUHK),
the French Centre for Research on Contemporary China (CEFC, Hong Kong), and
the University of Aix-Marseille I

Dates : 28 - 30 May 2008

Venue : The Chinese University of Hong Kong

Organising Committee
Noël Dutrait, Gilbert C.F. Fong, Hardy Tsoi, Sebastian Veg

Proposal and Paper Submission
Please submit a title and a brief abstract of around 250 words by email to:
Hong Kong Drama Programme,
Sir Run Run Shaw Hall, The Chinese University of Hong Kong (srrsh@cuhk.edu.hk), or Sebastian Veg (sveg@cefc.com.hk)
Please include your position and institutional affiliation in your proposal. Abstracts should be written in English. Presentations may be made in English or Chinese (Putonghua).
Deadline for submission of proposals: 15 January 2008
Deadline for submission of papers: 1 May 2008

Gao Xingjian has in many ways cultivated a complex relationship with cultural identities. Born in China, where he lived until the age of 47, he then moved to Europe, finally settling in France after deciding not to return after 1989. He is the first Nobel laureate in literature to write in Chinese, but received the prize as a French citizen. His two full-length novels are both closely linked to China, One Man’s Bible because it deals with the episode of the Cultural Revolution, and Soul Mountain because it is, among other things, a deep-reaching confrontation with and reworking of southern Chinese popular legends and traditions. At the same time, Gao has repeatedly presented both of these works as a kind of final reckoning with China and Chineseness, asserting that he had severed all links with China and now considered himself a trans-national or trans-cultural writer.

«
Chineseness », if this is indeed a useful concept, is firstly linked to language. Gao is one of a very small number of writers who have authored works in more than one language, as did Samuel Beckett before him. But while Beckett moved chronologically from English to French, Gao continues to write simultaneously in both Chinese and French, choosing his native language for the longer novels, and his adopted language for the shorter dramatic works that he wrote during the 1990’s. As did Beckett, he takes an active interest in the translations of his works between French and Chinese, and has actually translated, and in fact rewritten, several theatrical works, baffling translators into third languages, who no longer know which version to work on.

For these reasons, in terms of biography, language, and aesthetic and cultural references, Gao Xingjian presents a very singular case for study. This conference will focus on the issues related to Chineseness in his work, without any limitations in terms of genre, examining his plays, novels, stories, paintings and film. The question of language may serve as a starting point: is there something distinctly Chinese in the works that Gao has authored in Chinese, as opposed to his French writings? What role does translation play in the evolution of his writing, especially in the case of texts that he has himself adapted into another language, but also more largely in terms of translating cultural references into another language and cultural context? In particular, how do Chinese traditional cultural references, but also allusions to modern and contemporary Chinese history (the early in 1980’s in his first dramatic works), fit into texts that purport to be situated beyond national borders?

More generally, the issue of Chineseness raises the question of aesthetics. How is one to assess Gao’s assertion that he is no longer a «
Chinese writer », but rather has attained a form of intercultural aesthetics that are not indebted to a particular national tradition? Few would deny that Gao’s works continue to engage with Chinese aesthetics in an unmistakable way. To name but a few, the recent opera Snow in August, which was staged in Taipei and Marseilles in 2004, is freely adapted from the legend of Huineng, the sixth patriarch of Chan/Zen Buddhism, a doctrine or method which plays a particular role in the structure of several of his texts. His paintings also draw on elements of Chinese aesthetics, using ink, brush and water to create a distinctive style that eschews any simple characterization in terms of national traditions. In this connection, one may wonder whether this particular style played a role in defining Gao’s syncretic form of writing.

Finally, the very categories of national literature and cultural tradition should probably not be viewed uncritically. While Gao deconstructs the idea of Chineseness in his texts and works, one may wonder to what extent this critical attitude is simply part and parcel of the contemporary situation of literature, in which national, linguistic and cultural borders tend to become blurred, as many writers aim to achieve a form of writing that can no longer be ascribed to a cultural tradition in any linear or direct way.


Contacts:
Gilbert C.F. Fong (cheefunfong@cuhk.edu.hk) or
Sebastian Veg
(sveg@efc.com.hk)

Happy Oh Happy

Vous avez perdu quelque chose de précieux

L’évènement est suffisamment exceptionnel pour être souligné. Une pièce de théâtre coréen était donnée à Paris (Théâtre de Ménilmontant) les 22 et 23 novembre dernier, Happy Oh Happy de la jeune et prometteuse Lee Yun Sǔl (이 운 설). Nous avons eu la chance d’assister à cette pièce, mise en scène par Lee Jong-il (이 정 일), traduite et sur-titrée par Han Yumi (한 유미) et Hervé Péjaudier.

Grand Prix 2005
du Festival International de Kǒchang (거창) (Corée du Sud), Happy Oh Happy présente une facette très intéressante du théâtre coréen contemporain , trop rare en France. Cette pièce n’interroge pourtant que de loin ce que certains nomment la « coranéitude », néologisme tendant souvent à se constituer en réponse automatique aux questions justement sans réponse. La portée de la pièce a une valeur bien plus universelle et il n’y a nul besoin de connaître la Corée et la langue coréenne pour l’apprécier (même si le non coréanophone passera à côté des onomatopées et des blagues ou jeux de mots).


Un curieux « Service des Objets Trouvés Réunis, filiale du service de consignation, filiale de Pandora, service de consignation », est tenu par un personnage au statut indéterminé, vaguement charlatan, aidé par un être humain transformé en chien savant, bavard et lettré, véritable « confuchiien ». Maître et chien sont chargés de retrouver des objets perdus par des insouciants, des paumés arrivés au bout d’un chemin sans trouver de nouvelles ressources. Défile alors une galerie de personnages savoureux et amochés, ayant perdu tour à tour l’amour, la confiance, le courage...

La jeune femme délaissée en a même oublié le visage de son mari, tant elle se consacre à la recherche de l’amour. Le chercheur scientifique lui, consigne toutes les questions et réponses de la vie dans un carnet qui ne le quitte jamais et dans lequel il puise les réparties possibles, mais rate son suicide, faute du courage nécessaire. Le policier qui manque de confiance en soi va chercher l’amitié du voleur, natif du même village, tandis que ce dernier tente d’échapper au fougueux coup de foudre de la jeune femme en mal d’amour. Et puis ce chien susceptible qui hésite entre le statut de chien et celui d’humain, tandis que son maître se prêtera de bonne grâce à la promesse faite de lui trouver une compagne, luimême en l’occurrence…

Ce beau monde perdu, en quête d’essentiel, de leur essentiel, est une formidable réflexion sur les conditions du bonheur dans un monde nourri d’illusions. Cette quête inlassable au travers des réclamations formulées au Bureau des Objets Trouvés est littéralement hilarante, car si personne n’arrive à retrouver l’objet de sa perte, les demandeurs reçoivent en revanche et en retour, des réponses hautement philosophiques de la part du chien, réponses faites dans un humour débridé, très peu encombré par la morale confucéenne.

Le jeu des acteurs et la mise en scène, souvent typique du théâtre coréen, dans laquelle on retrouve musique, acrobaties, 3 costumes colorés, masques et parfois arts martiaux sont autant d’interrogations sur notre société encombrée d’objets de consommation, courant après le bonheur mais oublieuse des valeurs fondamentales qui constituent la communauté des hommes, au-delà de l’illusion de la possession. La pièce empreinte de valeurs bouddhistes ne verse jamais dans la morale. Pas plus qu’elle n’est une pièce purement « coréenne ». Le travail du metteur en scène aide bien, de ce point de vue, à dépasser le message singulier pour aller vers un théâtre à vocation universelle.

On rit du début à la fin, grâce aussi à la traduction et au surtitrage de Han Yumi et Hervé Péjaudier prouvant ainsi que l’on peut très bien, si les conditions techniques sont réunies, sur-titrer une pièce de théâtre, sans nuire à sa réception. Ce travail de traduction restitue le texte coréen à l’humour corrosif et à la portée philosophique non dissimulée, même si on peut reprocher à ce dialogue humour-philosophie, quelques faiblesses d’écriture. Mais ne boudons pas notre plaisir !


La Cie Ipche (입재) composée d’une quarantaine de personnes présente la particularité de travailler sur la base d’un projet collectif, bien éloigné du star system. Elle s’est déjà venue en France l’an dernier, à Avignon et Paris où elle a présenté la pièce Muldoridong, A la Courbe des Eaux (물도리동), un texte de Ho Kyu (호 규) et une mise en scène du même Lee Jong-il. Elle se produit régulièrement à l’international, et c’est sans doute dans ce cadre qu’elle pourrait bien venir un jour à Aix-en-Provence.
(KIM Hye Gyeong et Jean-Claude de Crescenzo)