Nous avons signalé sur notre compte Twitter, l’article que Alain Beuve-Méry et Florence Noiville ont publié dans Le Monde du 21 janvier 2011, intitulé « Quand l’écriture se dérobe » et sous-titré : « Le fameux vertige de la page blanche n’épargne pas les écrivains confirmés. Tous élaborent des stratagèmes pour l’affronter ».
En introduction, les auteurs parlent de la page blanche comme si c’était « une maladie honteuse de l’écrivain : la panne, le blocage, le spectre hideux… ». Puis ils prennent le cas de Gao Xingjian, prix Nobel de littérature 2000, comme exemple d’un grand écrivain victime de cette « maladie ». Tout en reconnaissant que ses encres de Chine présentées à la Galerie Claude Bernard sont « magnifiques », ils affirment que Gao Xingjian n’est plus dans l’actualité pour ses écrits. « Comme si, écrivent-ils, après la magistrale Montagne de l’Ame (écrit en 1990, et paru à l’Aube en 2002 (sic), le prix Nobel qui lui a été décerné juste après le Livre d’un homme seul (L’Aube 2000), avait asséché sa créativité littéraire ».
Outre le fait que La Montagne de l’Ame n’est pas sortie en France en 2002, mais en 1995, il est inexact d’affirmer que Gao Xingjian se trouve devant une sorte de syndrome de la page blanche. En réalité, Gao Xingjian, comme il l’a dit lors de la discussion que j’ai animée à la BPI de Beaubourg le 17 janvier, a commencé à peindre très tôt et la peinture est pour lui une forme d’expression aussi importante que l’écriture littéraire, le cinéma ou l’écriture théâtrale. C’est bien mal connaître Gao Xingjian que de penser qu’il puisse « être en panne ». Hormis une courte période qui a suivi l’obtention du prix Nobel au cours de laquelle il est tombé gravement malade, il n’a jamais cessé de créer ou d’écrire, par exemple des textes théoriques au sujet de la création et du théâtre (deux volumes parus à Hong Kong et Taiwan, en cours de traduction aux éditions du Seuil). Que l’on pense au bel objet d’art qu’il a publié aux éditions du Seuil en 2002 intitulé L’Errance de l’oiseau ou au livret pour un spectacle de danse intitulé Ballade Nocturne (Paris, Sylph Editions, traduit en anglais par Claire Conceison), la pièce de théâtre Le Quêteur de la mort (Le Seuil, 2004), Gao Xingjian est loin d’être silencieux.
Loin des modes et des chapelles, il crée comme bon lui semble ; si la forme romanesque ne correspond pas à ce qu’il veut exprimer, il se consacre entièrement à la peinture, puis, lorsqu’il a achevé ses tableaux pour une exposition à Singapour, Hong Kong ou Paris, il écrit des poèmes ou des textes dans lesquels il élabore une théorie très personnelle sur l’art du comédien ou sur le rôle de la littérature. Après avoir écrit et mis en scène un magnifique opéra la Neige en août en 2003 et 2005 à Taiwan puis à Marseille, sur une musique de Xu Shuya (la musique est sans doute le seul art qu’il ne pratique pas), il se lance dans la réalisation de films totalement atypiques.
Enfin, l’article de Alain Beuve-Méry et Florence Noiville laisse entendre que Gao Xingjian souffrirait d’une situation de blocage. Je ne pense pas que le nombreux public qui est venu l’écouter à la BPI de Beaubourg ait eu cette impression. Bien au contraire, il m’a paru totalement épanoui, presque serein, lorsqu’il a expliqué comment la pratique des différentes formes artistiques lui permettait de mieux s’exprimer. Il s’agit pour lui seulement d’une question de période dans sa vie créatrice. Actuellement, c’est la période de création cinématographique, peut-être bientôt de création poétique… Gao Xingjian est à la fois écrivain, peintre, théoricien, cinéaste, metteur en scène, théoricien de la création littéraire, artistique et théâtrale… Le phénomène est sans doute trop rare pour que les critiques parviennent à l’appréhender dans sa totalité.