vendredi 26 mars 2010

Les beautés du Jiangnan


Suzhou 蘇州, Nanjing 南京, Yangzhou 揚州, Hangzhou 杭州, Jiaxing 嘉興, Shaoxing 紹興, Huzhou 湖州, Huangshan 黃山, Chizhou 池州, Xuancheng 宣城, Jingdezhen 景德鎮, Nanchang 南昌, Shangrao 上饒, Shanghai 上海 : qui n’a pas visité toutes ces villes et arpenté les chemins parfois escarpés de ces sites fameux n’a pas encore pleinement goûté les beautés du Jiangnan 江南 et s’est privé d’une joie immense. Cet espace dit du « sud du [Grand] Fleuve » ( savoir le Yang-t’sé de tant de récits au parfum exotique) a ceci de magique qu’il a généreusement alimenté la culture chinoise en génies artistiques et en sommités historiques et dynamise, aujourd’hui encore, avec une inépuisable ardeur l’économie de la Chine : il mérite donc qu’on lui consacre un livre.

Celui que Qu Lan 瞿瀾 vient de publier aux Editions Sépia, sous le titre Jiangnan. Aquarelles de Chine est un bel hommage rendu à la région dont elle est originaire. Née à Suzhou il y a à peine 33 ans, elle a étudié à Hangzhou. Cette diplômée de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de la capitale des Song du Sud installée en France depuis une dizaine d’années n’a manifestement pas oublié l’adage qui lie dans un même souffle admiratif les deux phares de la Chine du sud, pendant terrestre du Paradis céleste : Shang you Tiantang, xia you Su Hang 上有天堂,下有蘇杭.

18 pages de cet élégant album qui en compte 80 sont des quasi-poèmes dédiés à ces deux villes : la Suzhou des canaux, le Hangzhou des bords du Lac de l’Ouest. Mais les autres destinations que nous invitent à découvrir ce guide d’un genre nouveau sont aussi bien traitées : par le texte, informatif et poétique, doublé en anglais pour toucher un large public, et surtout l’image. C’est bien entendu la qualité des illustrations qui attirera le lecteur et le tiendra en haleine pendant ce doux périple par monts et canaux. Mieux que la photo et son implacable précision, l’aquarelle offre des visions que l’on dirait volées à l’éternité ; paysages, ruelles, passants et badauds, objets du quotidien, fleurs et plantes, porcelaines, trésors des lettrés, mets typiques, scènes de la vie campagnarde, lieux de pèlerinage, habitations traditionnelles, portiques et pics sortants des nuages ... sont ainsi campés avec fluidité dans une harmonie de tons pastel. On y croise des noms qui sont autant d’invitation à poursuivre l’aventure : Xu Xiake 徐霞客 (1587-1641), qu’on aimera suivre grâce à Jacques Dars dans ses Randonnées aux sites sublimes (traduction du Xu Xiake youji 徐霞客遊記. Paris : Gallimard, «Connaissance de l’Orient », 1993), mais aussi Bai Juyi 白居易 (772–846), Su Shi 蘇軾 (1037-1101), ou encore Wang Bo 王勃 (649-676).

Qu Lan sera, quant à elle, au Salon du livre de Paris pour y dédicacer d'un pinceau léger son album de rêves, le dimanche 28 mars de 12 h à 17 h. (Stand M35). (P.K.)

jeudi 25 mars 2010

La collection bleue

Le Salon du livre de Paris ouvre ses portes au public demain 26 mars et ce jusqu'au 31 mars. Le trentième anniversaire d'une manifestation dont la tenue est source d'interrogations et de pesants sacrifices pour les petites maisons d'édition va permettre de rencontrer quelque 90 auteurs dont certains viennent de fort loin comme l'indien Tarun J Tejpal et le chinois Yan Lianke 阎连科. Ce dernier est, notez-le bien, attendu pour plusieurs rendez-vous les 26, 28 et 29 mars : vous aurez donc plusieurs fois la possibilité de lui demander ce qu'il pense du choix du titre retenu par son éditeur français pour sa dernière œuvre traduite chez nous.

Ce grand moment de la vie éditoriale française est l'occasion saisie par nombre d'éditeurs pour lancer sur le marché quelques appétissantes nouveautés. On ne s’étonnera donc pas particulièrement de l’apparition aux Editions Gallimard d’une nouvelle collection qui redonne vie, après un rachat salutaire, aux éditions Bleu de Chine dont la direction reste assurée par sa fondatrice Geneviève Imbot-Bichet. Trois titres font partie de cette fournée initiale qui marque tout à la fois une rupture (esthétique) et une continuité (éditoriale) ; il s'agit, respectivement, de :
  • Un Vol, un long poème narratif « qui épouse le déroulement d’un vol, évoque un voyage à la fois réel et symbolique » de Yu Jian 于坚 (1954-) traduit par Li Jinjia et Sébastian Veg (72 pages) ;
  • ce qui nous est présenté comme « une fable sur l'argent sale, la réussite et l'échec dans la Chine d'aujourd'hui [...] sous l'apparence d'un polar bon enfant », de la chinoise Bei Bei 北北, alias Lin Lan 林 岚 (1961-), traduit sous le titre Mon petit coin de monastère et prestement présenté (trois courtes pages) par Françoise Naour (104 p.) ;
  • un titre dont la sortie avait été annoncée de longue date, Lèvres pêche de Cui Zi'en 崔子恩 (1958-) traduit par Sylvie Gentil ; je vous livre la totalité de l'appareil critique accompagnant les 304 pages de ce roman qui fit scandale au moment de sa parution en 1997 : « Pour avoir châtré au bistouri son fils, violoniste homosexuel, un médecin croupit dans un cachot. Jeu de monologues centré autour de cette figure paternelle, sombre et tourmenté, hanté par le vertige de la vacuité, Lèvres pêche révèle le mal de vivre des homosexuels en Chine. Premier roman sur le sujet jamais publié en Chine populaire, il y fut rapidement mis à l’index. » On peut regretter la brièveté de cette contextualisation et se désoler de la non moins brève présentation de l'auteur que voici : « Né en 1958, Cui Zi’en est cinéaste, féru des réalisateurs italiens (Visconti, Pasolini, Fellini…). Professeur à l’Institut du cinéma de Pékin, il a été démis de ses fonctions pour avoir publiquement admis son homosexualité. Il est aussi écrivain, critique et théoricien. » Elle mérite pour le moins une actualisation que nous vous proposerons un jour prochain. Il y a, en effet, beaucoup à dire sur ce personnage aussi controversé que médiatique lequel livrait avec Taose zuichun 桃色嘴唇 le premier jalon d'une œuvre, pas seulement littéraire, déjà abondante et qui a fini par se faire une place sur le continent. Pleine de surprises, elle offre même une intéressante étude sur l’œuvre romanesque de Li Yu 李渔 (1611-1680) (Li Yu xiaoshuo lungao 李渔小说论稿. Beijing : Zhongguo shehui kexue, 1987. 160 p.).
Bien d'autres titres font aussi l'actualité des littératures d'Extrême-Orient, mais retenu loin du centre des opérations, j'en suis réduit à ne vous livrer que de bien grossières approximations : il me faudra attendre l'arrivée de ces perles printanières dans les rayons de plus en plus fournis de notre bibliothèque universitaire pour être plus loquace ; ne perdez pas patience. (P.K.)