
Blog de LEO2T [IrAsia - Aix Marseille Université]
vendredi 24 septembre 2010
Traduire : un art de la contrainte

Cet ensemble de 295 pages sur lequel Charles Zaremba a veillé avec une grande attention réunit 22 intéressantes contributions (voir la table des matières téléchargeable sur le site de l’éditeur) parmi lesquelles celles de membres de notre équipe :
- Philippe Che, « Repérer et traduire le langage allusif chez Ge Hong (283-343) », pp. 57-67.
- Pierre Kaser, « Traduire le théâtre littéraire chinois ancien : Les Amants de la scène de Li Yu (1611-1680) », pp. 67-79.
- Noël Dutrait, « Traduction de la réalité et du réalisme magique chez Mo Yan », pp. 81-93.
« Les interventions et discussions qui ont jalonné les deux jours du colloque ont affirmé encore une fois (concluent N. Dutrait et C. Zaremba (p. 6), les éditeurs et rédacteurs d’un « Prélude » à deux voix), que par son caractère non mécanique, la traduction était un art où il s’agit non de créer, mais de re-créer, et c’est dans le re- que réside toute la contrainte qui pèse sur le traducteur (que, naturellement, il faut imaginer heureux).» (P.K.)
mardi 21 septembre 2010
Keul Madang, le n° 7 est en ligne

Le dossier du mois de la revue en ligne Keul Madang est consacré à l’auteur coréen KIM Young-ha, vu à Aix-en-Provence en octobre 2009 et juin 2010. On trouvera dans ce dossier une interview de l’auteur et une études sur les personnages de ses romans, signées Kim Hye-gyeong et Jean-Claude de Crescenzo.
Jean-Claude de Crescenzo
dimanche 19 septembre 2010
Yu Jian à Aix
(annoncées ci-dessous)
sont malheureusement annulées.
L'équipe de recherche
« Littératures d'Extrême-Orient, Textes et traduction »
vous invite à rencontrer à deux reprises le poète chinois
YU Jian 于坚
- le Lundi 27 septembre 2010 à 17 h, salle A 458 (Université de Provence, Centre des Lettres, Aix-en-Provence) pour la présentation de son film documentaire Bise chezhan 碧色车站 (La gare bleue), au sujet d’une gare construite par les Français au Yunnan au début du XXe siècle. (Le film est en anglais) et
- le Mardi 28 septembre 2010 à 17 h, salle D 239 pour une discussion avec le public et une lecture en chinois de son poème Un Vol (traduit chez Bleu de Chine/Gallimard par Sebastian Veg et Li Jinjia) (en chinois, traduction assurée)
dimanche 12 septembre 2010
iTunes Mo Yan

Inutile de dire que l'iTunes U renferme bien d'autres perles que vous découvrirez, j'en suis sûr, tout seul. (P.K.)
samedi 11 septembre 2010
Si on les échangeait

Le Genji travesti,
Traduit et présenté par Renée GARDE
« Collection Japon », Série Fiction, dirigée par C.Galan et E. Lozerand
Les Belles Lettres, Paris, 2009, 391 pages.
Ce roman connu au Japon sous le titre de Torikaebaya monogatari とりかへばや物語, est très agréable à lire grâce à la fluidité de la traduction et également très drôle par le comique des situations, les répétitions volontaires sur la description de la beauté ou de la grâce « à nul autre pareil… ». Sans oublier les pleurs de ces hauts dignitaires et courtisans, les hommes comme les femmes ne cessent de verser des larmes. C’est un univers encore peu connu que nous découvrons avec délectation.
lundi 30 août 2010
Une nouvelle traduction de Cris de Lu Xun par Sebastian Veg

Errances avait été recensé à sa sortie par moi-même dans Le Monde du 19 mars 2004. Je concluais mon article ainsi : « Il existe deux bonnes raisons de lire le recueil Errances : la traduction soigneuse rend remarquablement le charme, l’ironie et la mélancolie des nouvelles de Lu Xun ; les notices du traducteur qui accompagnent chaque nouvelle jettent un éclairage sur la société chinoise de la première moitié du XXe siècle dans son extraordinaire foisonnement d’idées, et montre à quel point la Chine était loin de l’immobilisme et de l’obscurantisme dont on se plait souvent à l’affubler. À la lecture de ce recueil, on ressent à quel point une édition complète des œuvres de Lu Xun est d’une urgente nécessité, tant il paraît évident que cet écrivain est bel et bien le père de la littérature chinoise contemporaine », tandis qu’Isabelle Rabut, traductrice elle-même de nombreuses œuvres de littérature chinoise contemporaine, exprimait quelques critiques sur la traduction de Sebastian Veg dans sa recension publiée dans Perspectives chinoises (n° 90, juillet-août 2005, p. 57-59). Elle écrivait : « Sebastian Veg s’est expliqué dans sa préface sur ses principes de traduction : ‘ Nous avons cherché à donner de Lu Xun une autre lecture, qui n’occulte pas les aspérités d’une syntaxe du chinois littéraire moderne en pleine élaboration’ (p. 7). Cependant, il n’est pas sûr que ce parti-pris de littéralité (qui se réclame des conceptions de Lu Xun traducteur) serve le texte ; la ‘fidélité’ que revendique la traduction relève en effet en grande partie d’une illusion : certaines habitudes d’expression propres au chinois semblent avoir été prises pour des particularités de la langue de Lu Xun (ou de la langue de l’époque). Les répétitions, par exemple, sont un trait de la langue chinoise qui n’est pas plus saillant chez Lu Xun que chez n’importe quel auteur moderne, et qu’il faut se garder, sauf exception, de conserver en l’état. Bon nombre des lourdeurs ou des bizarreries qu’on relève au fil des pages ne sont pas imputables à Lu Xun, mais à une inadéquation dans le rendu de certaines tournures courantes. En un mot, toutes les rugosités qu’on peut trouver au style de Lu Xun ne justifient pas qu’on fasse de lui un auteur qui écrit mal. Les exemples abondent de ces maladresses surajoutées au texte original ».
Dans sa traduction de Cris, Sebastian Veg répond à Isabelle Rabut : « Toute traduction est naturellement critiquable, dans la mesure où elle relève toujours de choix opérés par le traducteur ; ce n’est donc pas tant la teneur d’un tel propos qui pose problème que le jugement de valeur sous-jacent qui suggère que l’on pourrait départager « lourdeurs et bizarreries » de ce qui serait le « beau style ». Lu Xun, en réalité, n’est pas un écrivain qui recourt souvent aux répétitions lexicales – lorsqu’il en apparaît, elles sont soigneusement pesées. » Puis il poursuit : « Sur le détail de la traduction, nous espérons bien que le présent ouvrage puisse inciter de nouveau à la discussion. »
Et effectivement, Sebastian Veg livre à la discussion quelques choix de traduction comme par exemple la traduction du titre de la nouvelle A Q zhengzhuan 阿Q正传。On peut recenser les traductions suivantes de ce titre : « La véritable histoire de Ah Q » (Editions des langues étrangères de Pékin, 1973), « Histoire d’A Q : véridique biographie » (Le Livre de Poche, 1989, repris dans le recueil Cris, Albin Michel, 1995). Ici, Sebastian Veg choisit de traduire ce titre « L’édifiante histoire d’a-Q ». Dans le commentaire qu’il fournit pour chaque nouvelle, Sebastian Veg justifie son choix de traduction avec brio, montrant comment le sens de « édifiant » pour zheng 正 (qui signifie « authentique ou officiel » (Dictionnaire Ricci) s’est imposé à lui. L’utilisation du nom du personnage principal a-Q est à mes yeux un peu plus contestable dans la mesure où un public de lecteurs cultivés avait pu s’habituer à la transcription en A Q ou Ah Q. D’autant plus que les différentes traductions du titre en anglais s’accordent sur la transcription en Ah Q.
Avec cette réponse de Sebastian Veg à Isabelle Rabut, le débat sur la traduction est donc lancé, un débat comme on les aime sur ce blog !
Pour en revenir au recueil dans son ensemble, il faut se féliciter de la qualité de la traduction, de la pertinence des notes qui l’accompagnent et en plus, du commentaire toujours très pertinent de Sebastian Veg sur chaque texte proposé. Il n’y a qu’ainsi, à mon avis, que Lu Xun peut être lu par le grand public actuel qui n’est pas au fait de la situation extrêmement complexe de la Chine de cette époque. Le fait que chaque nouvelle soit restituée dans son contexte et commentée permet d’en saisir toute la saveur et souvent le sens caché. Enfin, une bibliographie très complète, un index et un article brillant de Sebastian Veg intitulé « Sortir du règne de la critique » fournissent des outils très utiles au lecteur qui voudrait en savoir plus sur Lu Xun et la littérature chinoise de son époque.
Notons enfin la parution d’un long poème de Yu Jian 于坚, Un vol 飞行, traduit aussi par Sebastian Veg et Li Jinjia aux éditions Bleu de Chine/Gallimard. Traduire la poésie est à coup sûr plus difficile que de traduire la prose, mais les deux traducteurs s’en sortent avec brio. J’ai beaucoup apprécié ce long poème qui est à la fois une sorte de journal de voyage et une méditation sur la poésie, la vie et l’histoire. Christophe Donner en a fait une recension enthousiaste dans Le Monde magazine du 15 mai 2010. Nous en reparlerons puisqu’il n’est pas impossible que Yu Jian passe à Aix-en-Provence dans un avenir proche…
Noël Dutrait
mercredi 28 juillet 2010
BM-ChineseBooks

Bertrand Mialaret a récemment choisi de franchir un nouveau pas en créant un blog personnel qui, malgré tout, conservera des liens privilégiés avec ce qu'on pourrait appeler sa maison mère :
Cinquante articles ont été publiés sur 2007-2010 sur le site web Rue89, ils sont repris sur ce blog qui renvoie le lecteur intéressé sur Rue89. La priorité pour l'auteur de ce blog est la publication sur Rue89. Ce blog est un complément pour des informations et des livres trop spécialisés et pour des articles en langue anglaise. La coopération avec les blogs de langue anglaise est intéressante, l'objectif est de publier en anglais ce qui concerne des ouvrages ou des auteurs chinois non traduits en français mais que l'on peut lire en anglais.Depuis notre petit plateforme qui pour sa part totalise en ce 28 juillet 2010 quelque 83 000 visites depuis sa création le 18 novembre 2006, nous avons à chaque nouvelle publication renvoyé vers le site d'information, soit, d'abord à partir d'une Revue de presse en ligne qui va prochainement disparaître, puis, depuis sa création, via notre compte twitter [voir la colonne de gauche ou ici]. L'existence de ce blog indépendant et bien identifiable, doté, qui plus est, d'un fil RSS m'épargnera donc la nécessité de faire ces renvois : à vous d'inscrire le fil de mychinesebooks dans vos signets ou dans votre espace netvibes ; le nôtre accueillera ce nouveau venu sous l'onglet Chine d'aujourd'hui.
mychinesebooks propose, pour l'heure, quatre rubrique thématiques - Romans, Nouvelles, Romans policiers, Edition et une dernière renvoyant au site Rue89. Mais est-il utile d'en dire plus ? Allez vite relire les 50 articles anciens et découvrir les nouveaux billets. Il y est notamment question de l’écrivain et poète Liao Yiwu 廖亦武 (1958-) qui ne pourra pas se rendre au Festival du Livre de Cologne, et de Cao Naiqian 曹乃谦 (1949-) pour la sortie de There’s nothing I can do when I think of you late at night (Université de Columbia, 2009, 248 p.), traduction par John Balcom de Dao hey xiang ni mei banfa 到黑夜想你没办法, (1988) dont Bertrand Mialaret parle sans oublier de signaler la mise en ligne de « Jujube la sauvageonne », une nouvelle traduite par Noël Dutrait, dans la revue Impressions d’Extrême-Orient que vient de lancer, non pas l'Université de Provence, mais notre équipe !
Bertrand Mialarte évoque aussi la sortie chinoise du dernier roman de Mo Yan 莫言, Wa 蛙 (Shanghai wenyi, 2009, 340 p.) dont il est fait grand cas là-bas (voir le site http://www.99read.com/) avec un lancement marketing digne de la personnalité de son auteur.

jeudi 22 juillet 2010
L'inaperçu de l'Inaperçu


Encouragée par le soleil de juin, la terre avait enfin revêtu sa parure dorée. L’orge était mûre. Entre les diguettes, entre les villages, entre les norias, entre les sophoras, le sol avait disparu. Tout n’était plus qu’or et lumière. Pas de hautes montagnes, pas de vallées profondes. D’un seul regard, on embrassait la plaine du Nord du Jiangsu qui ondulait à l’infini dans la chaleur de l’été. L’odeur qui flottait dans l’air était l’appel de la terre. L’orge était mûre. Il fallait commencer la moisson.
Les yeux mi-clos, la bouche entrouverte, les paysans contemplaient l’immensité dorée, heureux de respirer le parfum de l’orge mûre, et ils sentaient les barbes de ses épis leur chatouiller délicieusement le cœur. La récolte de l’an dernier était depuis longtemps épuisée. Il était temps que la nouvelle récolte arrivât. Cette orge représentait leurs galettes, leurs mantou [note : Petits pains cuits à la vapeur.], leurs nouilles, leurs trois repas quotidiens. Elle était sur leurs tables les jours de noces ou de funérailles. En un mot, c’était leur vie.
麦子黄了,大地再也不像大地了,它得到了鼓舞,精气神一下子提升上来了。在田垄与田垄之间,在村落与村落之间,在风车与风车、槐树与槐树之间,绵延不断的 麦田与六月的阳光交相辉映,到处洋溢的都是刺眼的金光。太阳在天上,但六月的麦田更像太阳,密密匝匝的麦芒宛如千丝万缕的阳光。阳光普照,大地一片灿烂, 壮丽而又辉煌。这是苏北的大地,没有高的山,深的水,它平平整整,一望无际,同时也就一览无余。麦田里没有风,有的只是一阵又一阵的热浪。热浪有些香,这 厚实的、宽阔的芬芳是泥土的召唤,该开镰了。是的,麦子黄了,该开镰了。庄稼人望着金色的大地,张开嘴,眯起眼睛,喜在心头。再怎么说,麦子黄了也是一个振奋人心的场景。经过漫长的、同时又是青黄不接的守候之后,庄稼人闻到了新麦的香味,心里头自然会长出麦芒来。别看麦子们长在地里,它们终究要变成苋子、馒头、疙瘩或面条,放在家家户户的饭桌上,变成庄稼人的一日三餐,变成庄 稼人的婚丧嫁娶,一句话,变成庄稼人的日子。[source]
Le blé était jaune, la terre ne ressemblait plus à la terre, elle avait été stimulée et son énergie était montée d’un coup. Entre les levées de terre, entre les villages, entre les norias, entre les sophoras, les champs de blé à l’infini et le soleil du sixième mois rivalisaient de rutilance, partout débordaient des rayons dorés aveuglants. Le soleil était dans le ciel, mais c’étaient les champs de blé du sixième mois qui lui ressemblaient le plus, les barbes drues des épis tels des rayons étroitement serrés. Partout brillait le soleil, les terres s’étendaient rutilantes et splendides. C’étaient les vastes terres du Nord-Jiangsu, pas de hautes montagnes, pas d’eaux profondes, toutes plates, à perte de vue, embrassées d’un seul coup d’œil. Dans les champs de blé, pas un souffle de vent, seules montaient par moments des bouffées de chaleur odorantes. Ces fortes fragrances à l’infini, c’était l’appel de la terre : l’heure des moissons avait sonné. Oui, le blé était jaune, l’heure des moissons avait sonné
Les paysans contemplaient les vastes terres dorées, bouche ouverte, les yeux mi-clos, la joie au cœur. En fin de compte, le blé jaune était aussi une scène stimulante pour le cœur des hommes. Après une longue attente, après la pénurie entre les deux récoltes, quand les paysans sentaient l’odeur du blé nouveau, en eux poussaient spontanément les barbes des épis. Même si le blé poussait dans la terre, il finirait par devenir galettes aux herbes, petits pains à la vapeur, boulettes ou nouilles, il apparaîtrait sur la table de chaque maison, chez les paysans il deviendrait repas trois fois par jour, chez les paysans il accompagnerait fiançailles, mariages et enterrements, bref, chez les paysans il deviendrait la vie même.


Droit de réponse
Par le plus grand des hasards, je tombe sur ce blog et je découvre que je suis violemment attaqué. Je ne comprends d’ailleurs pas les motivations de mes détracteurs. Je leur rappellerai seulement un de mes proverbes anglais préférés : « He who lives in a glass house shouldn’t throw stones ».
Mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa, j’ai commis une faute que je ne m’explique pas. En effet, j’ai un peu élagué la traduction de la première page. Je ne me souviens pas dans quelles circonstances. Peut-être, en relisant, ai-je trouvé une phrase ou deux un peu lourdes que j’avais l’intention de modifier et que j’ai effacées sans les remplacer. En tout cas, je ne crains pas d’affirmer que je n’ai pas trahi l’auteur, comme le font les traductions proposées sur ce blog. Il est moins grave de mal décrire une voiture que de déclarer qu’elle fonctionne au gazole, alors qu’elle fonctionne à l’essence. C’est pourtant ce que font ceux commettent une grosse faute factuelle dès le premier mot de leur traduction.
"Ne pas connaître les cinq céréales", signifie, si je ne m'abuse en chinois "être un peu idiot". Je ne suis pas, et de loin, le meilleur traducteur, mais je peux me targuer d'être un des plus qualifiés pour la traduction des descriptions de la vie des paysans pauvre. Pourquoi? Parce que j'ai été élevé chez les paysans du Morvan pendant la guerre (la deuxième guerre mondiale) et j'ai travaillé dans les champs depuis l'âge de cinq ans, avec les femmes, puisque les hommes étaient prisonniers en Allemagne. J’ai porté dans mes bras des gerbes de blé et d’orge et j’ai avalé la poussière en tournant la manivelle du tarare. Je connais donc la différence entre le blé et l’orge et je sais ce qu’est un tarare.
La critique de ma traduction n’est pas ce qui m’a affecté le plus, puisque je peux facilement démontrer que d’autres ne sont pas meilleurs que moi. Noël Dutrait a d’ailleurs bien voulu reconnaître que certaines de mes remarques étaient « convaincantes. »
J’avais un jour déclaré à Brigitte Duzan qui tenait à m’interviewer qu’un proverbe chinois dit que « L’homme craint d’être célèbre comme le cochon craint d’engraisser » Or, un anonyme ( ?) se précipitant comme les mouches sur… (étant plus poli que lui, je le laisse terminer la phrase) sur une remarque de Brigitte Duzan me qualifiant de traducteur « compulsif », m’accuse carrément d’être un fumiste. Or, Brigitte Duzan qui est parfaitement anglophone a employé le mot au sens anglais qui n’a rien de péjoratif. (Vous pouvez lui demander confirmation). « A compulsive smoker », c’est simplement un fumeur invétéré. Pour ma défense, s’il en était besoin, je dirai que, lorsque j’ai pris ma retraite après avoir travaillé toute ma vie près de quinze heures par jour, je me suis retrouvé assis devant mon bureau du matin au soir, je ne vois pas pourquoi je n’aurais pas pu traduire deux pages de roman par jour, sans traduire à une vitesse excessive. D’autres traduisent autant que moi tout en travaillant et en écrivant des articles.
Je crois avoir retenu aussi que vous souhaitez (comment ?) attribuer un label de qualité aux traductions, comme pour le saucisson ou le fromage. Ce label existe déjà dans les pays totalitaires qui vont même plus loin en interdisant la publication. C’est le cas de la Chine, dans des conditions qui ne sont pas très claires. Il existait aussi l’imprimatur du Pape (je ne sais pas si elle existe encore).
Je vois deux traductions, l’une d’un collègue « qualifié » (Qui ?), l’autre d’une étudiante. Le collègue a bien regardé le texte, mais il a omis de se renseigner (comme je l’ai fait) auprès de l’auteur, si bien qu’il commet une énorme faute dès le premier mot de sa traduction.
Quand j’ai commencé la traduction du livre, j’étais en Chine et j’ai rencontré plusieurs fois Bi Feiyu. Il a bien insisté sur le fait qu’il fallait traduire 麦 par « orge ». Pour qu’il n’y ait pas de confusion possible, il connaissait même le mot anglais « barley ». Le blé, c’est 小麦 comme l’a bien traduit Sylvie Gentil au début de « Bon baisers de Lénine ». (Ligne 8 du texte chinois : « 小麦已经满熟 呢 ». Ligne 12 de la traduction : « Le blé était à maturité ».) C’est grave pour la suite, car même s’il existe peut-être des variétés de blé possédant des barbes, c’est surtout l’orge qui est célèbre pour ses barbes. 风车 : La traductrice (félicitée par le professeur pour sa traduction) a remplacé mes « norias » par des « tarares ». Plus prudent, le collègue devait savoir que les paysans ne pouvaient pas laisser leurs tarares passer l’hiver pour pourrir dans les champs. Je n’insisterai pas sur d’autres détails qui me semblent discutables.
Bref, je me suis permis de déranger un peu l’ordre des choses en ne collant pas mot pour mot au texte. Mon expérience (très longue) me permet de donner un conseil aux étudiants : « Quand vous faites une version, attention ! Le professeur est en embuscade. Une traduction lourde montrant que vous avez bien compris vous vaudra un « md » (mal dit), ce qui vaut mieux qu’un « cs » (contresens) » Je mérite des « md ». J’ai essayé de faire une introduction agréable à lire, j’ai réussi puisque l’éditeur l’a citée en présentation du livre. Des gens mal intentionnés sur ce blog accusent Philippe Picquier de je ne sais quels noirs desseins. C’est de la calomnie et de l’idiotie pure ! L’éditeur m’a fait confiance et j’assume la responsabilité de la traduction. Je voudrais savoir si les éditeurs des autres traducteurs (présents sur ce blog) ont à leur disposition un traducteur pour relire les traductions des traducteurs. Il semblerait aussi que certains proposent une formule mathématique pour évaluer une traduction : « texte français = texte chinois x 1,5 » en oubliant de préciser l’unité de mesure. Dans le cas du livre qui nous préoccupe, nous avons : Texte chinois : 30 caractères x 28 lignes x 267 pages (237 000 caractères selon l’éditeur). Texte français : 50 lettres x 33 lignes x 476 pages = 785 400 lettres. La formule est-elle respectée ? Ne connaissant pas l’unité de mesure, je suis incapable de répondre.
Je ne crois pas, comme le déclarent certains que les écrivains chinois soient très à cheval sur les détails de style. Le contenu est pour eux plus important que la forme. D’ailleurs, quand je lis les commentaires de lecteurs chinois, je vois qu’ils critiquent surtout l’histoire et non la forme. D’autre part, excepté pour Lao She, j’ai toujours gardé le contact avec les auteurs que je traduisais et, plusieurs fois, je leur ai signalé des erreurs scientifiques ou chronologiques et ils m’ont toujours autoriser à les modifier comme bon me semblait. Je ne publierai pas les exemples car, contrairement à certains participants de ce blog, je n’éprouve pas le besoin de ridiculiser mes semblables pour montrer mon intelligence (au cas où j’en posséderais une).
J’ai aimé ce livre car j’y ai retrouvé une atmosphère que j’ai un peu connue et je l’ai peut-être mieux compris que d’autres car j’étais abonné au Renmin Ribao au Renmin Huabao et d’autres journaux, ce qui m’a permis de comprendre ce que des plus jeunes que moi n’ont pas bien compris.
Ici, se termine mon plaidoyer.
Claude Payen (23 avril 2013)
vendredi 2 juillet 2010
Bangkok en fiction
« Ce livre est composé de deux parties : la première, « le livre et la ville », traite des aspects théoriques et analyse les textes, alors que la seconde, « les auteurs et leurs nouvelles », donne la biographie des cinq écrivains retenus et, pour la première fois, la traduction en français par l’auteur des dix nouvelles choisies, en texte intégral. Le lecteur peut donc commencer par les traductions ou ne s’y plonger qu’après en avoir lu l’analyse proposée. Selon ses centres d’intérêt personnels, il pourra ainsi décider de son approche.»

Je profite de l’occasion pour vous signaler la tenue du « 2010 International Burma Studies Conference. Burma in the Era of Globalization » à l'Université de Provence, centre St Charles, Marseille, du 6 au 9 juillet. Pour prendre la mesure de l’événement qui se prépare, je vous invite à consulter le site qui lui est consacré. Il y sera, bien entendu, question également de littérature [voir ici, « Panel 24 »]. Souhaitons que Louise Pichard-Bertaux, qui collabore activement à l'organisation de cette manifestation, trouve d’ici la rentrée le temps de nous rendre compte de l’effervescence suscitée par un pays, la Birmanie, sur lequel nous savons encore si peu. (P.K.)
jeudi 1 juillet 2010
Renards et renardes à l'honneur

(Yuan Ke 袁珂, Shanhai jing jiaozhu. 山海經校注 Shanghai, Shanghai guji, 1986)
« Les païens prétendent que le diable, sous la figure d'un Hou-li 狐狸 renard, monstre mi-belette et mi-renard, apparaît très fréquemment dans leurs maisons. Cet animal mystérieux est, disent-ils, plus gros que la belette ordinaire, il a des oreilles d'homme, monte sur les toits, se promène sur les poutres, et jette la terreur dans les familles. Le jour il est invisible, c'est la nuit qu'il exécute ses mauvais tours. On redoute beaucoup cet animal diabolique, et les familles païennes dépensent de grosses sommes à faire mille superstitions pour se mettre à couvert de ses malversations. » (p. 461)
Voici pour ceux qui, comme moi, n'ont pu assisté à la cérémonie le court discours prononcé par Solange avant de recevoir ce prix entièrement mérité :
« Le renard est un animal à la charge symbolique très forte dans de nombreuses cultures et littératures à travers le monde, et à mon humble avis - après plusieurs années de recherche sur le sujet - en Chine plus qu'ailleurs, ce qui pousse les sinologues actuels à parler d'une véritable « culture vulpine » en Chine. C'est donc un sujet qui méritait bien un petit travail de 500 pages...Souhaitons à Solange une brillante carrière et, pour nous tous, qu'un éditeur offre une tribune à sa thèse qui, qualité rare, se lit comme un roman. (PK)
L'histoire du renard dans les textes chinois est une histoire vieille de plus de 2500 ans, qui remonte donc à l'époque pré-impériale : de simple animal offrant chaleur et prestige à l'homme par sa fourrure, servant à l'interprétation des augures et à l'illustration d'idées philosophiques, il devient au fil des siècles une créature légendaire anthropophage puis un démon, notamment sous l'influence des alchimistes et des taoïstes, donnant lieu sous le premier millénaire de notre ère à d'innombrables récits de forme zhiguai, présentés pour une grande partie dans le Taiping guangji, ou Vaste recueil de l'ère de la Grande Paix, d'époque Song. Et j'en profite pour remercier, plus de 1000 ans plus tard, tous ces lettrés courageux qui ont couché par écrit les contes et légendes d'époque, ce qui a permis à cette riche culture de parvenir jusqu'à nous...
C'est l'apparition également du personnage de l'esprit-renard, un être doté du don de métamorphose, en quête d'immortalité et profondément intelligent. Sous la dynastie des Tang, la vénération se mêle à la crainte et on assiste à la naissance du culte en la divinité renard, culte considéré comme subversif et dangereux pour le pouvoir politique en place. Les histoires et les personnages de renards se diversifient pour donner naissance à de grands récits restés célèbres, jusqu'à la dynastie des Qing, où des écrivains comme Pu Songling et Ji Yun vont porter à son apogée l'art des contes vulpins et où le personnage séduisant de la renarde va prendre son envol. Le renard de ces contes et fictions s'humanise, jusqu'à devenir le masque de l'être humain, de la société et de ses préoccupations.
Vaste programme donc, résumé ici en quelques lignes, que l'Histoire du renard dans les textes chinois, de l'époque pré-impériale à la fin de la dynastie des Qing, de la démonisation à l'humanisation, de la légende à la fiction. Un long travail de recherche, de sélection, de traduction, d'analyse et d'interprétation, effectué selon une double optique diachronique et thématique, poursuivi sur plusieurs années,... mais qui mériterait encore d'être poursuivi et complété. Un travail réalisé avec le souci constant de mettre en avant la complexité et la nature ambivalente du renard dans la tradition et dans l'imaginaire chinois, un renard qui, pour reprendre les termes de Zhang Yinde, exerce sur l'homme « le double pouvoir de terreur et de fascination, si bien que l'homme vacille entre la diabolisation et la divinisation, entre le rejet et l'identification ».
C'est un sujet qui me tient à cœur depuis presque dix ans : il m'a accompagnée durant mon année de Maîtrise à l'Université de Provence, où j'ai pu « entrer en contact » avec le personnage de l'esprit-renard ; durant mon année d'étude à l'Ecole Normale de Beijing – Beijing shifan daxue - où j'ai pu trouver de nombreuses sources chinoises ; durant mon année de Master à l'Institut des Langues Etrangères de Xi'an – Xi'an waiguoyu xueyuan - où j'ai effectué une recherche sur le renard dans les expressions de la langue chinoise ancienne et moderne ; et enfin durant mes années de doctorat, toujours à l'Université de Provence, au cours desquelles j'ai écrit différents articles et participé à divers colloques pour partager le résultat de mes recherches, avec notamment un court compte-rendu dans le numéro XXVI d'Etudes Chinoises (2007).
J'ai donc essayé, tout au long de ma thèse, de transmettre au lecteur ma passion pour ce sujet de recherche, avec l'idée de revaloriser l'image du renard dans la tradition chinoise, pour lui redonner la place qu'il mérite et qui lui revient. C'est pour toutes ces raisons qu'en plus d'être honorée par l'attribution de ce prix, je suis également touchée, touchée que mon travail ait été reconnu mais surtout qu'il ait plu aux membres du jury qui ont eu la bienveillance de le lire.
Je remercie en conséquence l'Association Française d'Etudes Chinoises et son président M. Gilles Guiheux, pour ce prix de thèse qu'elle délivre chaque année, mais aussi pour sa grande contribution aux études chinoises. Je remercie le jury, qui a eu la lourde lâche de départager des thèses de qualité.
Je remercie M. Lu Ching-long, ambassadeur de Taipei en France, ainsi que M. Lee Shu-cheng, directeur du service culturel, pour la belle récompense qu'ils vont nous remettre... Je crois que c'est une belle façon de terminer ses études supérieures, et un bel encouragement pour poursuivre dans la voie de la recherche, ce que je tâcherai de faire en prenant mes nouvelles fonctions à l'Université Paul Valéry de Montpellier dès la rentrée prochaine.
Je remercie également mes professeurs, M. Pierre Kaser et M. Noël Dutrait, qui me suivent et m'accompagnent depuis plus de 10 ans, et qui ont su me transmettre leur goût de la culture chinoise en général, et de la littérature en particulier. Je crois qu'un bon étudiant n'est rien sans de bons professeurs.
Merci enfin à mes proches et amis, et tout particulièrement à mon conjoint, qui m'a supportée, dans tous les sens du terme, durant toutes mes années de doctorat.
mardi 29 juin 2010
Gao, en haut, Mo, en bas

lundi 28 juin 2010
Keul Madang, le n° 6 est en ligne

Sur l'auteur de La vie rêvée des plantes (Zulma), on pourra consulter la notice Wikipedia qui semble devoir tout aux maîtres d'œuvre de Keul Madang, Kim Hye-gyeong et Jean-Claude de Crescenzo.
jeudi 10 juin 2010
Traduire la nuit

L'Institut Charles V (10, rue Charles V, Pars IVe. Métro Saint Paul ou Sully Morland) accueillera donc cette journée qui débutera par une conférence de Jean-Paul Manganaro qui sera suivie de l'ouverture de plusieurs ateliers de langues ; celui consacré au japonais sera tenu par Corinne Atlan et sera consacré à l’ « Ambiance nocturne chez Haruki Murakami 村上春樹 » dont elle a traduit le Kafka sur le rivage (Belfond, 2002).
Pour le programme complet de cette journée, veuillez télécharger le beau dépliant dont la page de garde est reproduite ci-dessus, à partir du site d'Atlas. (P.K.)