jeudi 30 septembre 2010

Journée mondiale de la traduction

The Interactive Rosetta Disk v1.0 que l’on peut explorer à partir du site
The Rosetta Project. A Long Now Foundation Library of Human Language


Le 30 septembre est, vous alliez l'oublier, la journée mondiale de la traduction, fêtée (rappelez-vous) comme chaque année le jour de la Saint Jérôme, patron des traducteurs et des traductrices. Que tous ceux qui ont traduit, un peu beaucoup ou énormément, et ceux qui aspirent à le faire soit donc honorés et profitent de cette journée pour réfléchir à leur métier, ou à leur occupation favorite.

Le communiqué de presse annonçant le thème retenue par la Fédération Internationale des Traducteurs pour cette journée mondiale pose d'entrée les bases de la réflexion sur ce qu'on appelle « la diversité culturelle » qui comme le souligne la Déclaration universelle de l'UNESCO adoptée en 2001 « est aussi nécessaire pour le genre humain que la biodiversité dans l'ordre du vivant »:
Notre planète est riche de sa diversité linguistique. Les quelque six à sept mille langues parlées dans le monde sont dépositaires de notre mémoire collective et d’un héritage impalpable. Or, cette diversité linguistique et culturelle est menacée : 96 % de ces langues sont parlées par moins de 4 % de l’humanité et des centaines d’entre elles disparaîtront bientôt à jamais.
Ceci pour dire que le thème retenu par la FIT pour cette journée mondiale de la traduction, est celui qui a été proposé par l'URT Russe :
« Traduction de qualité pour une pluralité de voix ».


Boîtes aux lettres chinoises (Suzhou, 2002, PK)

Je profite de cette occasion pour vous indiquer que le programme des 27e Assises de la Traduction en ArleS qui se tiendront les 5-6-7 novembre 2010 sur le thème « Traduire la correspondance » est accessible en ligne sur le site d'ATLAS.

Cette année, ce sera Sylvie Gentil, traductrice entre autres de Mian Mian (Panda Sex, Au Diable Vauvert, 2009), qui y portera la voix de la Chine et de sa littérature lors des ateliers du samedi matin. Cette seconde journée verra également se tenir une table ronde sur « Traduire Les Liaisons Dangereuses », une des nombreuses occasions de mettre la traduction sous la loupe pendant ses trois journées qui feront une large place à la Russie, à sa langue et à sa riche littérature.

Pour rester sur le sujet des langues du monde (et conclure ce 400e billet), je vous signale que l’UNESCO vient de publier une nouvelle étude sur la diversité linguistique sur l’Internet. Celle-ci montre que le français y occupe une place plus que modeste, loin derrière l'anglais, avec seulement 3,48 % des pages web rédigée dans notre langue contre plus de 50 % dans celle de Shakespeare, mais aussi que notre langue est moins présente sur la Toile que l'allemand (4,91 %), le japonais (6,04 %), le chinois simplifié (7,49 %) auquel on peut ajouter le modeste 1,58 % du chinois traditionnel qui rivalise avec le coréen à 1,92 %, mais reste devant le thaï (0,83 %) et le vietnamien (0,60 %) [Evaluation Google, réalisée le 3 juillet 2008 (pp. 68-69)]. Alors, un effort, s'il vous plait, à vos blogs ... (P.K.)

vendredi 24 septembre 2010

Yu Jian à Aix : ANNULATION

Traduire : un art de la contrainte

Les 17 et 18 octobre 2008 s'était tenu à l'Université de Provence un colloque co-organisé par L'« Equipe sur les Cultures et Humanités Anciennes et Nouvelles Germaniques et Slaves » (EA 4236) et notre équipe. Deux années se sont écoulées depuis. Les actes de cette manifestation baptisée « Traduire : langues et réalités. Un art de la contrainte » viennent de sortir aux Publications de l'Université de Provence (Aix-en-Provence) sous le titre Traduire : un art de la contrainte.

Cet ensemble de 295 pages sur lequel Charles Zaremba a veillé avec une grande attention réunit 22 intéressantes contributions (voir la table des matières téléchargeable sur le site de l’éditeur) parmi lesquelles celles de membres de notre équipe :
  • Philippe Che, « Repérer et traduire le langage allusif chez Ge Hong (283-343) », pp. 57-67.
  • Pierre Kaser, « Traduire le théâtre littéraire chinois ancien : Les Amants de la scène de Li Yu (1611-1680) », pp. 67-79.
  • Noël Dutrait, « Traduction de la réalité et du réalisme magique chez Mo Yan », pp. 81-93.
Il est également question de chinois avec la traduction de Causerie de Beaudelaire par Wang Xiaoxia : Jiao tan 交谈 [in F. Douay Soublin, « Constellations de contraintes, un poème de Beaudelaire sous le feu des traducteurs » (pp. 201-231), pp. 218-221]

« Les interventions et discussions qui ont jalonné les deux jours du colloque ont affirmé encore une fois (concluent N. Dutrait et C. Zaremba (p. 6), les éditeurs et rédacteurs d’un « Prélude » à deux voix), que par son caractère non mécanique, la traduction était un art où il s’agit non de créer, mais de re-créer, et c’est dans le re- que réside toute la contrainte qui pèse sur le traducteur (que, naturellement, il faut imaginer heureux).» (P.K.)


mardi 21 septembre 2010

Keul Madang, le n° 7 est en ligne


Le dossier du mois de la revue en ligne Keul Madang est consacré à l’auteur coréen KIM Young-ha, vu à Aix-en-Provence en octobre 2009 et juin 2010. On trouvera dans ce dossier une interview de l’auteur et une études sur les personnages de ses romans, signées Kim Hye-gyeong et Jean-Claude de Crescenzo.

Dans le dossier sont aussi proposées la publication en intégralité de la nouvelle Le paratonnerre ainsi qu’une lecture textanalytique de l’œuvre, sous la plume de Choe Ae-young.

Ses trois romans parus en France chez Picquier et traduits par Lim Yeong-hee et Françoise Nagel sont présentés par Thomas Gillant, Kim Hye-gyeong et Jean-Claude de Crescenzo.

Dans les autres rubriques, les lectures du mois sont consacrées à l’ouvrage de Alexandre Guillemoz, chercheur au Cnrs, spécialisé dans le chamanisme coréen. La chamane à l’éventail est un recueil des entretiens menés par Alexandre Guillemoz avec la chamane avec laquelle il a travaillé durant plusieurs années. Ces entretiens sont suivis d’un retour d’expérience de l’anthropologue durant ses longues années d’immersion en Corée.

Les larmes bleues, roman coréen de Juliette Morillot, anthropologue par ailleurs, et auteur de plusieurs ouvrages sur la Corée, est lu par Dyenaba Sylla.

Deux poèmes de Choe Seung-ho et la préface de son recueil Alerte à la neige présentée par ses traducteurs No Mi-sug et Alain Génetiot ; le texte de la pièce de théâtre Qui êtes-vous ? de Yi Hyeon-hwa présenté par sa traductrice Cathy Rapin, et des extraits du roman de Yi In-seong, Interdit de folie, complètent la rubrique de littérature.

Dans ce n° 7 également, sont présentées des lectures de romans ou d’ouvrages ainsi que des travaux d’étudiants en Etudes Coréennes.

Bonne lecture sur www.keulmadang.com

Jean-Claude de Crescenzo

dimanche 19 septembre 2010

Yu Jian à Aix

Photo de Yu Jian sur son blog


Les rencontres avec le poète chinois Yu Jian
(annoncées ci-dessous)
sont malheureusement annulées.


L'équipe de recherche
« Littératures d'Extrême-Orient, Textes et traduction »
vous invite à rencontrer à deux reprises le poète chinois

YU Jian 于坚
  • le Lundi 27 septembre 2010 à 17 h, salle A 458 (Université de Provence, Centre des Lettres, Aix-en-Provence) pour la présentation de son film documentaire Bise chezhan 碧色车站 (La gare bleue), au sujet d’une gare construite par les Français au Yunnan au début du XXe siècle. (Le film est en anglais) et
  • le Mardi 28 septembre 2010 à 17 h, salle D 239 pour une discussion avec le public et une lecture en chinois de son poème Un Vol (traduit chez Bleu de Chine/Gallimard par Sebastian Veg et Li Jinjia) (en chinois, traduction assurée)
Pour vous y préparer, vous pouvez non seulement lire Un Vol évoquée ici et Dossier O (Paris : Bleu de Chine, 2005, 69 pages) également traduit par Sebastian Veg et Li Jinjia.

dimanche 12 septembre 2010

iTunes Mo Yan

En attendant la vraie rentrée avec une pluie de billets, voici pour les sinisants amateurs de Mo Yan une adresse à ne pas manquer, mais qui nécessite une manipulation que certains trouveront sans doute un peu trop compliquée.

Il faut pour écouter la prestation d'une quarantaine de minutes que l'écrivain chinois donna dans le cadre de l’Open University of Hong Kong accéder au module iTunes U de l'iTunes Store du logiciel iTunes qui peut être téléchargé gratuitement à la fois sur un Mac et un PC.

Si vous arrivez là et que vous n'êtes pas encore complètement découragé, glissez les mots « Open University of Hong Kong » dans la fenêtre en haut à droite à la place du mot « Rechercher », validez, puis sélectionnez les mots « Tout afficher ». Lorsque l'ensemble des propositions apparaît, identifiez le choix « Literature and Translation Seminar Series ». Ceci fait, vous n'avez plus qu'à découvrir un à un les cinq épisodes de la sous-série « Translator and Critics » que vous pouvez regarder en ligne ou télécharger afin de les glisser plus tard dans votre iPod ou votre iPhone (voir ici).

Le cinquième épisode offre à Howard Goldblatt (1939-, 葛浩文) grand spécialiste américain et traducteur de littérature chinoise contemporaine, l'occasion de conclure ce « Tai Ning Public Forum » consacré à la « Chinese Literature as World Literature : Writer, Translator and Critics » organisé par la School of Arts and Social Sciences de Hong Kong. Il s'exprime quant à lui en anglais. Je vous laisse la surprise du début de cette série qui s'ouvre sur une petite cérémonie comme Mo Yan semble les apprécier particulièrement.

Inutile de dire que l'iTunes U renferme bien d'autres perles que vous découvrirez, j'en suis sûr, tout seul. (P.K.)

samedi 11 septembre 2010

Si on les échangeait

Si on les échangeait,
Le Genji travesti,

Traduit et présenté par Renée GARDE
« Collection Japon », Série Fiction, dirigée par C.Galan et E. Lozerand
Les Belles Lettres, Paris, 2009, 391 pages.

Ce roman du XIIe siècle d’un auteur resté anonyme décrit la vie de la cour japonaise à l’époque de Héian 平安 (894-1185). Le « héros » est une jeune fille qui a des goûts « masculins » et finit par prendre l’habit et le rôle de son demi-frère qui lui, maladivement timide, revêt le kimono sororal. C’est un véritable plaisir de savourer un tel ouvrage traduit dans un style fluide, avec des notes qui nous permettent de mieux comprendre la signification de certains détails, concernant notamment les poèmes fort nombreux. Les notes précisent également des points importants comme la signification des couleurs des vêtements. L’érudition dont fait preuve la traductrice nous apporte le plaisir intellectuel d’apprendre tant de choses sur la vie quotidienne de l’époque de Heian, sur la vie culturelle comme la vie matérielle. C’est la période de l’apogée de la civilisation aristocratique japonaise. Et tout en nous divertissant grâce à l’intrigue « incroyable », nous nous cultivons agréablement. Les nombreuses intrigues amoureuses sont truffées de poèmes waka – il s’agit de poèmes courts de 5-7-5-7-7 syllabes, qui ont encore des adeptes de nos jours.

Ce roman connu au Japon sous le titre de Torikaebaya monogatari とりかへばや物語, est très agréable à lire grâce à la fluidité de la traduction et également très drôle par le comique des situations, les répétitions volontaires sur la description de la beauté ou de la grâce « à nul autre pareil… ». Sans oublier les pleurs de ces hauts dignitaires et courtisans, les hommes comme les femmes ne cessent de verser des larmes. C’est un univers encore peu connu que nous découvrons avec délectation.

C’est un roman à recommander vivement aux étudiants de japonais afin qu’ils s’instruisent en riant. Il faut enfin souligner la qualité de l’édition – couverture très élégante, papier et typographie choisies - qui ajoute au plaisir de la lecture. (Christine Condominas)

lundi 30 août 2010

Une nouvelle traduction de Cris de Lu Xun par Sebastian Veg


Notre équipe « Littératures d’Extrême-Orient, textes et traductions » compte parmi ses membres associés Sebastian Veg, jusqu’à tout récemment, chercheur détaché auprès du Centre d’Etudes français sur la Chine contemporaine (CEFC) à Hong Kong. Familier de nos colloques, journées d’études et rencontres, au cours desquels il a fréquemment pris la parole toujours avec la plus grande pertinence, il a déjà publié une traduction de Lu Xun 魯迅 intitulée Errances (Rue d’Ulm, 2004) et compte plusieurs autres traductions de Liu Zhenyun 刘震云 et Yu Jian 于坚.


Errances avait été recensé à sa sortie par moi-même dans Le Monde du 19 mars 2004. Je concluais mon article ainsi : « Il existe deux bonnes raisons de lire le recueil Errances : la traduction soigneuse rend remarquablement le charme, l’ironie et la mélancolie des nouvelles de Lu Xun ; les notices du traducteur qui accompagnent chaque nouvelle jettent un éclairage sur la société chinoise de la première moitié du XXe siècle dans son extraordinaire foisonnement d’idées, et montre à quel point la Chine était loin de l’immobilisme et de l’obscurantisme dont on se plait souvent à l’affubler. À la lecture de ce recueil, on ressent à quel point une édition complète des œuvres de Lu Xun est d’une urgente nécessité, tant il paraît évident que cet écrivain est bel et bien le père de la littérature chinoise contemporaine », tandis qu’Isabelle Rabut, traductrice elle-même de nombreuses œuvres de littérature chinoise contemporaine, exprimait quelques critiques sur la traduction de Sebastian Veg dans sa recension publiée dans Perspectives chinoises (n° 90, juillet-août 2005, p. 57-59). Elle écrivait : « Sebastian Veg s’est expliqué dans sa préface sur ses principes de traduction : ‘ Nous avons cherché à donner de Lu Xun une autre lecture, qui n’occulte pas les aspérités d’une syntaxe du chinois littéraire moderne en pleine élaboration’ (p. 7). Cependant, il n’est pas sûr que ce parti-pris de littéralité (qui se réclame des conceptions de Lu Xun traducteur) serve le texte ; la ‘fidélité’ que revendique la traduction relève en effet en grande partie d’une illusion : certaines habitudes d’expression propres au chinois semblent avoir été prises pour des particularités de la langue de Lu Xun (ou de la langue de l’époque). Les répétitions, par exemple, sont un trait de la langue chinoise qui n’est pas plus saillant chez Lu Xun que chez n’importe quel auteur moderne, et qu’il faut se garder, sauf exception, de conserver en l’état. Bon nombre des lourdeurs ou des bizarreries qu’on relève au fil des pages ne sont pas imputables à Lu Xun, mais à une inadéquation dans le rendu de certaines tournures courantes. En un mot, toutes les rugosités qu’on peut trouver au style de Lu Xun ne justifient pas qu’on fasse de lui un auteur qui écrit mal. Les exemples abondent de ces maladresses surajoutées au texte original ».


Dans sa traduction de Cris, Sebastian Veg répond à Isabelle Rabut : « Toute traduction est naturellement critiquable, dans la mesure où elle relève toujours de choix opérés par le traducteur ; ce n’est donc pas tant la teneur d’un tel propos qui pose problème que le jugement de valeur sous-jacent qui suggère que l’on pourrait départager « lourdeurs et bizarreries » de ce qui serait le « beau style ». Lu Xun, en réalité, n’est pas un écrivain qui recourt souvent aux répétitions lexicales – lorsqu’il en apparaît, elles sont soigneusement pesées. » Puis il poursuit : « Sur le détail de la traduction, nous espérons bien que le présent ouvrage puisse inciter de nouveau à la discussion. »


Et effectivement, Sebastian Veg livre à la discussion quelques choix de traduction comme par exemple la traduction du titre de la nouvelle A Q zhengzhuan Q正传。On peut recenser les traductions suivantes de ce titre : « La véritable histoire de Ah Q » (Editions des langues étrangères de Pékin, 1973), « Histoire d’A Q : véridique biographie » (Le Livre de Poche, 1989, repris dans le recueil Cris, Albin Michel, 1995). Ici, Sebastian Veg choisit de traduire ce titre « L’édifiante histoire d’a-Q ». Dans le commentaire qu’il fournit pour chaque nouvelle, Sebastian Veg justifie son choix de traduction avec brio, montrant comment le sens de « édifiant » pour zheng (qui signifie « authentique ou officiel » (Dictionnaire Ricci) s’est imposé à lui. L’utilisation du nom du personnage principal a-Q est à mes yeux un peu plus contestable dans la mesure où un public de lecteurs cultivés avait pu s’habituer à la transcription en A Q ou Ah Q. D’autant plus que les différentes traductions du titre en anglais s’accordent sur la transcription en Ah Q.


Avec cette réponse de Sebastian Veg à Isabelle Rabut, le débat sur la traduction est donc lancé, un débat comme on les aime sur ce blog !


Pour en revenir au recueil dans son ensemble, il faut se féliciter de la qualité de la traduction, de la pertinence des notes qui l’accompagnent et en plus, du commentaire toujours très pertinent de Sebastian Veg sur chaque texte proposé. Il n’y a qu’ainsi, à mon avis, que Lu Xun peut être lu par le grand public actuel qui n’est pas au fait de la situation extrêmement complexe de la Chine de cette époque. Le fait que chaque nouvelle soit restituée dans son contexte et commentée permet d’en saisir toute la saveur et souvent le sens caché. Enfin, une bibliographie très complète, un index et un article brillant de Sebastian Veg intitulé « Sortir du règne de la critique » fournissent des outils très utiles au lecteur qui voudrait en savoir plus sur Lu Xun et la littérature chinoise de son époque.


Notons enfin la parution d’un long poème de Yu Jian 于坚, Un vol 飞行, traduit aussi par Sebastian Veg et Li Jinjia aux éditions Bleu de Chine/Gallimard. Traduire la poésie est à coup sûr plus difficile que de traduire la prose, mais les deux traducteurs s’en sortent avec brio. J’ai beaucoup apprécié ce long poème qui est à la fois une sorte de journal de voyage et une méditation sur la poésie, la vie et l’histoire. Christophe Donner en a fait une recension enthousiaste dans Le Monde magazine du 15 mai 2010. Nous en reparlerons puisqu’il n’est pas impossible que Yu Jian passe à Aix-en-Provence dans un avenir proche…


Noël Dutrait


mercredi 28 juillet 2010

BM-ChineseBooks

Les lecteurs de ce blog, et particulièrement ceux qui s'intéressent à la Chine et à sa vie littéraire, connaissent Bertrand Mialaret et sa passion pour la littérature chinoise de notre époque. Son nom est souvent venu s'inscrire dans nos colonnes et ses avis y ont été répercutés, et parfois discutés : la dernière fois dans le dernier billet qui, aussi implicitement qu'amicalement, mettait l'accent sur une des limites de son appréciation --- l'accès aux textes chinois par le biais exclusif des traductions françaises et anglaises.

Il n'empêche qu'au fil des billets, Bertrand Mialaret s'est gagné un espace non négligeable dans le petit monde des amateurs de littérature chinoise en traduction, voire même au-delà puisque ses billets diffusés sur un site attirant 1, 5 million de visiteurs uniques sont lus entre 1500 à 3500 fois en moyenne chacun ; certains d'entre eux retiennent l'attention d'encore plus d'internautes : savoir plus de 9000 pour un billet sur Jia Pingwa, il est vrai, portant un titre accrocheur, ou plus de 8000 fois pour le Beijing Coma de Ma Jian. Ces chiffres de fréquentation fort élevés ne vont, soyons en sûr, pas cesser d'augmenter car, et c'est un des nombreux bienfaits d'internet, les productions en ligne s'inscrivent à la fois dans l'immédiateté et dans la durée.

Bertrand Mialaret a récemment choisi de franchir un nouveau pas en créant un blog personnel qui, malgré tout, conservera des liens privilégiés avec ce qu'on pourrait appeler sa maison mère :
Cinquante articles ont été publiés sur 2007-2010 sur le site web Rue89, ils sont repris sur ce blog qui renvoie le lecteur intéressé sur Rue89. La priorité pour l'auteur de ce blog est la publication sur Rue89. Ce blog est un complément pour des informations et des livres trop spécialisés et pour des articles en langue anglaise. La coopération avec les blogs de langue anglaise est intéressante, l'objectif est de publier en anglais ce qui concerne des ouvrages ou des auteurs chinois non traduits en français mais que l'on peut lire en anglais.
Depuis notre petit plateforme qui pour sa part totalise en ce 28 juillet 2010 quelque 83 000 visites depuis sa création le 18 novembre 2006, nous avons à chaque nouvelle publication renvoyé vers le site d'information, soit, d'abord à partir d'une Revue de presse en ligne qui va prochainement disparaître, puis, depuis sa création, via notre compte twitter [voir la colonne de gauche ou ici]. L'existence de ce blog indépendant et bien identifiable, doté, qui plus est, d'un fil RSS m'épargnera donc la nécessité de faire ces renvois : à vous d'inscrire le fil de mychinesebooks dans vos signets ou dans votre espace netvibes ; le nôtre accueillera ce nouveau venu sous l'onglet Chine d'aujourd'hui.

mychinesebooks propose, pour l'heure, quatre rubrique thématiques - Romans, Nouvelles, Romans policiers, Edition et une dernière renvoyant au site Rue89. Mais est-il utile d'en dire plus ? Allez vite relire les 50 articles anciens et découvrir les nouveaux billets. Il y est notamment question de l’écrivain et poète Liao Yiwu 廖亦武 (1958-) qui ne pourra pas se rendre au Festival du Livre de Cologne, et de Cao Naiqian 曹乃谦 (1949-) pour la sortie de There’s nothing I can do when I think of you late at night (Université de Columbia, 2009, 248 p.), traduction par John Balcom de Dao hey xiang ni mei banfa 到黑夜想你没办法, (1988) dont Bertrand Mialaret parle sans oublier de signaler la mise en ligne de « Jujube la sauvageonne », une nouvelle traduite par Noël Dutrait, dans la revue Impressions d’Extrême-Orient que vient de lancer, non pas l'Université de Provence, mais notre équipe !

Bertrand Mialarte évoque aussi la sortie chinoise du dernier roman de Mo Yan 莫言, Wa 蛙 (Shanghai wenyi, 2009, 340 p.) dont il est fait grand cas là-bas (voir le site http://www.99read.com/) avec un lancement marketing digne de la personnalité de son auteur.

Dommage que ce nouvel espace entièrement consacré à la littérature chinoise, qui a ses excroissances sur Facebook (Chinese books) et sur Twitter ne porte aucun caractère chinois .... il est vrai que leur avenir est, nous dit-on, menacé. En un mot : longue vie à mychinesebooks !

jeudi 22 juillet 2010

L'inaperçu de l'Inaperçu

Tout en se réjouissant qu'une œuvre chinoise soit primée, ce billet veut, en toute impartialité et sans esprit polémique, attirer l'attention sur un détail qui semble être passé inaperçu aux yeux du jury littéraire qui a distingué l'ouvrage en question.
Cette mise au point, ou plutôt cette mise en exergue d’un problème lié à l'attribution de prix à des œuvres des littératures d'Extrême-Orient et à leur accessibilité en langue française, me paraît suffisamment intéressante pour être portée en débat ici ; elle dépasse, en effet, le cadre très précis de ce prix particulier et de la traduction qu'elle honore.
Voici de quoi il s’agit.

Tout récemment, les jurés du « Prix de l'Inaperçu 2010 » ont primé dans la catégorie « Inaperçu/Etranger », Pingyuan 平原 de l'écrivain chinois Bi Feiyu 毕飞宇 ou, pour être plus précis, sa traduction par Claude Payen parue aux Editions Philippe Picquier sous le titre La Plaine. L'année dernière, le même jury avait, notons-le, retenu La Chambre solitaire de Shin Kyong-sku, traduit par Jeong Eun-jin et Jacques Batilliot également chez Picquier ; l’année précédente, lors de la première édition, l’auteur chinois Wang Gang figurait dans la liste des nominés pour son English (Picquier), c’est dire l’attachement que porte ce jury aux littératures d’Extrême-Orient et aux productions de l’éditeur qui en est le principal défenseur chez nous.
L'ouvrage primé cette année, paru en août dernier, n'avait guère reçu de critique, sauf ici et sur internet : c'est justement ce qui le prédisposait à être inscrit avec quatre autres titres sur la liste des ouvrages candidats, pour un prix l’« Inaperçu/Etranger », qui comme son nom l'indique, s'attache à révéler un ouvrage en traduction « passé inaperçu des critiques et des lecteurs » mais qui mérite d’être connu et lu.
Le prix, remis le 25 mai lors d’une soirée festive au Café de l’Industrie à Paris en présence de l'éditeur a, selon Livres Hebdo, eu pour effet immédiat que « Bi Feiyu et Eric Vuillard [le lauréat français] ne passent plus inaperçus ». La preuve ici.
Le site de l'académie conduite par un comité à la tête duquel se trouve Nils C. Ahl, journaliste, auteur et traducteur, qui travaille à donner aux littératures d'Extrême-Orient toute leur place dans le paysage contemporain notamment par ses critiques du Monde des Livres, offre tous les éléments pour bien comprendre et envisager dans toute sa complexité l'angle d'approche et la méthodologie mis en œuvre une fois par an, et aussi ses limitations, lesquelles, pour faire court, sont essentiellement linguistiques.

Pour en prendre la mesure, posons les éléments du problème :

La traduction d'abord : grâce à l'éditeur, on peut, sans engager le moindre frais ou se rendre à la bibliothèque, se faire une idée de l'ouvrage et en en lisant les pages 7 à 29, soit le premier chapitre en entier duquel je vais extraire les deux premiers paragraphes (page 7) --- on sait combien les auteurs y apportent toute leur attention, les traducteurs ne sont pas en reste : on peut donc penser que le passage suivant est particulièrement représentatif de l’ouvrage entier, et en constitue en quelque sorte la quintessence :
Encouragée par le soleil de juin, la terre avait enfin revêtu sa parure dorée. L’orge était mûre. Entre les diguettes, entre les villages, entre les norias, entre les sophoras, le sol avait disparu. Tout n’était plus qu’or et lumière. Pas de hautes montagnes, pas de vallées profondes. D’un seul regard, on embrassait la plaine du Nord du Jiangsu qui ondulait à l’infini dans la chaleur de l’été. L’odeur qui flottait dans l’air était l’appel de la terre. L’orge était mûre. Il fallait commencer la moisson.
Les yeux mi-clos, la bouche entrouverte, les paysans contemplaient l’immensité dorée, heureux de respirer le parfum de l’orge mûre, et ils sentaient les barbes de ses épis leur chatouiller délicieusement le cœur. La récolte de l’an dernier était depuis longtemps épuisée. Il était temps que la nouvelle récolte arrivât. Cette orge représentait leurs galettes, leurs mantou [note : Petits pains cuits à la vapeur.], leurs nouilles, leurs trois repas quotidiens. Elle était sur leurs tables les jours de noces ou de funérailles. En un mot, c’était leur vie.
Voici, à n’en pas douter, une bien belle entrée en matière qui invite à la lecture ... Pourtant dans son article sur Bi Feiyu et ses ouvrages disponibles en français - tous traduits par Claude Payen chez Picquier - Bertrant Mialaret (Rue89.com) émet des réserves sur le style du jeune auteur de Xinghua 兴化 : « Ce n'est pas un paysan comme Mo Yan ; on le constate dans ses descriptions de la campagne, des cultures et des récoltes : on ne sent pas le riz pousser…» Certes, Bi Feiyu n’a pas le métier de son aîné du Shandong, mais le lecteur attentif de tout ce qui se publie en littérature chinoise, ne se trompe-t-il pas de cible ? Un coup d’œil sur le texte source pourrait n’en doutons pas nous aider à trancher.
麦子黄了,大地再也不像大地了,它得到了鼓舞,精气神一下子提升上来了。在田垄与田垄之间,在村落与村落之间,在风车与风车、槐树与槐树之间,绵延不断的 麦田与六月的阳光交相辉映,到处洋溢的都是刺眼的金光。太阳在天上,但六月的麦田更像太阳,密密匝匝的麦芒宛如千丝万缕的阳光。阳光普照,大地一片灿烂, 壮丽而又辉煌。这是苏北的大地,没有高的山,深的水,它平平整整,一望无际,同时也就一览无余。麦田里没有风,有的只是一阵又一阵的热浪。热浪有些香,这 厚实的、宽阔的芬芳是泥土的召唤,该开镰了。是的,麦子黄了,该开镰了。
庄稼人望着金色的大地,张开嘴,眯起眼睛,喜在心头。再怎么说,麦子黄了也是一个振奋人心的场景。经过漫长的、同时又是青黄不接的守候之后,庄稼人闻到了新麦的香味,心里头自然会长出麦芒来。别看麦子们长在地里,它们终究要变成苋子、馒头、疙瘩或面条,放在家家户户的饭桌上,变成庄稼人的一日三餐,变成庄 稼人的婚丧嫁娶,一句话,变成庄稼人的日子。[source]
Pour qui lit le chinois, ce début est, me semble-t-il, mais je ne suis pas un spécialiste, bien trempé, et caractéristique du style de l’auteur qui transcrit quelque chose de la beauté et de la vigueur de la nature de ce petit coin du Jiangsu. Frappé par le décalage entre les deux textes, j’ai alerté mes camarades sinisants de l’équipe Leo2t qui n’ont pas manqué de réagir.

Je souscris totalement à ce qu’une lectrice aussi attentive qu’avertie des problèmes de traduction que nous réserve le chinois, a pris la peine de noter : « Au premier coup d’œil, on se rend compte d’une incohérence formelle, à savoir : le rendu en français est plus court que le passage original en chinois (ce qui a priori est impossible puisqu’une traduction représente environ 1,5 du texte chinois). Confronté au texte chinois, les craintes s’avèrent fondées : l’ordre des phrases est parfois inversé, des passages sont supprimés (soit morceaux de phrases, soit phrases entières), on note quelques faux sens, l’interprétation est trop libre. On semble plus face à une réécriture que face à une réelle traduction. C’est d’autant plus dommage que le texte français se lit bien, avec des tournures agréables, et reste cohérent pour un lecteur non sinisant. »

Un autre collègue encore mieux placé pour fournir un avis, a même obligeamment proposé, avec les réserves dues aux contraintes de l’exercice et au temps qu’il avait à lui consacrer, sa propre traduction que je vous livre ci-dessous avec son autorisation :
Le blé était jaune, la terre ne ressemblait plus à la terre, elle avait été stimulée et son énergie était montée d’un coup. Entre les levées de terre, entre les villages, entre les norias, entre les sophoras, les champs de blé à l’infini et le soleil du sixième mois rivalisaient de rutilance, partout débordaient des rayons dorés aveuglants. Le soleil était dans le ciel, mais c’étaient les champs de blé du sixième mois qui lui ressemblaient le plus, les barbes drues des épis tels des rayons étroitement serrés. Partout brillait le soleil, les terres s’étendaient rutilantes et splendides. C’étaient les vastes terres du Nord-Jiangsu, pas de hautes montagnes, pas d’eaux profondes, toutes plates, à perte de vue, embrassées d’un seul coup d’œil. Dans les champs de blé, pas un souffle de vent, seules montaient par moments des bouffées de chaleur odorantes. Ces fortes fragrances à l’infini, c’était l’appel de la terre : l’heure des moissons avait sonné. Oui, le blé était jaune, l’heure des moissons avait sonné
Les paysans contemplaient les vastes terres dorées, bouche ouverte, les yeux mi-clos, la joie au cœur. En fin de compte, le blé jaune était aussi une scène stimulante pour le cœur des hommes. Après une longue attente, après la pénurie entre les deux récoltes, quand les paysans sentaient l’odeur du blé nouveau, en eux poussaient spontanément les barbes des épis. Même si le blé poussait dans la terre, il finirait par devenir galettes aux herbes, petits pains à la vapeur, boulettes ou nouilles, il apparaîtrait sur la table de chaque maison, chez les paysans il deviendrait repas trois fois par jour, chez les paysans il accompagnerait fiançailles, mariages et enterrements, bref, chez les paysans il deviendrait la vie même.
Qui dit mieux ? Vos propositions, amendements et surtout vos réflexions, seront les bienvenues ; vous pouvez, si le cœur vous en dit, nous les communiquer dans un commentaire.

Il ressort de cette confrontation plusieurs interrogations que l’on ne peut pas occulter, au premier chef desquelles celle-ci : comment justifier le décalage entre le texte source et le premier rendu en français ?

Certes, on peut arguer que le traducteur n’a pas utilisé le même texte original que nous [savoir une version en ligne, laquelle est conforme à la version papier de l’édition Jiangsu wenyi, Nanjing, 2005, 432 p., pp. 1-2 (Cote 895.1b BIF au SCD Université de Provence) également consultée], mais il n’en reste pas moins que certains choix ne sont pas dus à un texte source inconnu ou inédit ; on peut dès lors se demander : si le texte finalement publié a, ou non, été revu par l’éditeur soucieux de livrer un texte moins volumineux donc moins onéreux, voire plus conforme à l’idée qu’il se fait de la littérature chinoise ; si le traducteur renoue consciemment ou non avec la tradition des « belles infidèles » ; s’il travaille en tandem avec un « lecteur source » peu scrupuleux, ou d’une « traduction relai » ; s'il s'agit, in fine, d'une commande à honorer rapidement ; que sais-je encore ? Quelque soit l’explication, notre petit examen a, je crois, déjà montré son utilité en indiquant que le jury du Prix de l’Inaperçu 2010 a primé un ouvrage quelque peu distordu par rapport à l’original.

Reste aussi entière la question de savoir s’il vaut mieux avoir un « Bi Feiyu allégé et primé » que « pas de Bi Feiyu du tout », question qui, naturellement, peut se poser avec tous les auteurs traduits à ce jour -- rappelons pour information que Claude Payen a livré en moins de 10 ans une bonne quinzaine de titres de littérature chinoise contemporaine et moderne dont cinq de Lao She 老舍, deux de Yan Lianke 阎连科, quatre de Bi Feiyu, pour la plupart parus aux Editions Philippe Picquier.

En guise de conclusion provisoire, j'invite les différents acteurs de la diffusion des littératures d'Extrême-Orient dans notre langue - savoir traducteurs, éditeurs, critiques, libraires, bibliothécaires, universitaires et lecteurs - à engager une réflexion sur leurs responsabilités respectives, réflexion qui pourrait aboutir un jour prochain à la création d'un label, d'une charte de bonne conduite ou de critères d'évaluation qualitative. Notre équipe apportera sa contribution, notamment dans les travaux préparatoires à son projet d'Inventaire des traductions françaises des littératures d'Extrême-Orient (ITLEO) dont il sera souvent question l'année prochaine ici et sur notre espace Netvibes. D'ici-là, je vous souhaite d'agréables vacances ponctuées de lectures stimulantes. (PK & co).

 
Complément du 28 avril 2013 : Ce billet publié le 22 juillet 2010 a déjà suscité  quatre commentaires, que vous pouvez lire en activant le lien suivant > http://jelct.blogspot.fr/2010/07/linapercu-de-linapercu.html < ou en cliquant > ici <, mais aussi une demande de droit de réponse par l'auteur de la traduction, Monsieur Claude Payen. Vu sa longueur, il n'est pas possible de le glisser dans un commentaire, aussi nous avons choisi de le proposer ci-dessous. Le voici :

Droit de réponse 
   
Par le plus grand des hasards, je tombe sur ce blog et je découvre que je suis violemment attaqué. Je ne comprends d’ailleurs pas les motivations de mes détracteurs. Je leur rappellerai seulement un de mes proverbes anglais préférés : « He who lives in a glass house shouldn’t throw stones ».
    Mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa, j’ai commis une faute que je ne m’explique pas. En effet, j’ai un peu élagué la traduction de la première page. Je ne me souviens pas dans quelles circonstances. Peut-être, en relisant, ai-je trouvé une phrase ou deux un peu lourdes que j’avais l’intention de modifier et que j’ai effacées sans les remplacer. En tout cas, je ne crains pas d’affirmer que je n’ai pas trahi l’auteur, comme le font les traductions proposées sur ce blog. Il est moins grave de mal décrire une voiture que de déclarer qu’elle fonctionne au gazole, alors qu’elle fonctionne à l’essence. C’est pourtant ce que font ceux commettent une grosse faute factuelle dès le premier mot de leur traduction.
  "Ne pas connaître les cinq céréales", signifie, si je ne m'abuse en chinois "être un peu idiot". Je ne suis pas, et de loin, le meilleur traducteur, mais je peux me targuer d'être un des plus qualifiés pour la traduction des descriptions de la vie des paysans pauvre. Pourquoi? Parce que j'ai été élevé chez les paysans du Morvan pendant la guerre (la deuxième guerre mondiale) et j'ai travaillé dans les champs depuis l'âge de cinq ans, avec les femmes, puisque les hommes étaient prisonniers en Allemagne. J’ai porté dans mes bras des gerbes de blé et d’orge et j’ai avalé la poussière en tournant la manivelle du tarare. Je connais donc la différence entre le blé et l’orge et je sais ce qu’est un tarare.
  La critique de ma traduction n’est pas ce qui m’a affecté le plus, puisque je peux facilement démontrer que d’autres ne sont pas meilleurs que moi. Noël Dutrait a d’ailleurs bien voulu reconnaître que certaines de mes remarques étaient « convaincantes. »
   J’avais un jour déclaré à Brigitte Duzan qui tenait à m’interviewer qu’un proverbe chinois dit que « L’homme craint d’être célèbre comme le cochon craint d’engraisser » Or, un anonyme ( ?) se précipitant comme les mouches sur… (étant plus poli que lui, je le laisse terminer la phrase) sur une remarque de Brigitte Duzan me qualifiant de traducteur « compulsif », m’accuse carrément d’être un fumiste. Or, Brigitte Duzan qui est parfaitement anglophone a employé le mot au sens anglais qui n’a rien de péjoratif. (Vous pouvez lui demander confirmation). « A compulsive smoker », c’est simplement un fumeur invétéré. Pour ma défense, s’il en était besoin, je dirai que, lorsque j’ai pris ma retraite après avoir travaillé toute ma vie près de quinze heures par jour, je me suis retrouvé assis devant mon bureau du matin au soir, je ne vois pas pourquoi je n’aurais pas pu traduire deux pages de roman par jour, sans traduire à une vitesse excessive. D’autres traduisent autant que moi tout en travaillant et en écrivant des articles.
      Je crois avoir retenu aussi que vous souhaitez (comment ?) attribuer un label de qualité aux traductions, comme pour le saucisson ou le fromage. Ce label existe déjà dans les pays totalitaires qui vont même plus loin en interdisant la publication. C’est le cas de la Chine, dans des conditions qui ne sont pas très claires. Il existait aussi l’imprimatur du Pape (je ne sais pas si elle existe encore).
    Je vois deux traductions, l’une d’un collègue « qualifié » (Qui ?), l’autre d’une étudiante. Le collègue a bien regardé le texte, mais il a omis de se renseigner (comme je l’ai fait) auprès de l’auteur, si bien qu’il commet une énorme faute dès le premier mot de sa traduction.
    Quand j’ai commencé la traduction du livre, j’étais en Chine et j’ai rencontré plusieurs fois Bi Feiyu. Il a bien insisté sur le fait qu’il fallait traduire  麦  par « orge ». Pour qu’il n’y ait pas de confusion possible, il connaissait même le mot anglais « barley ». Le blé, c’est  小麦  comme l’a bien traduit Sylvie Gentil au début de « Bon baisers de Lénine ». (Ligne 8 du texte chinois : « 小麦已经满熟  呢 ». Ligne 12 de la traduction : « Le blé était à maturité ».)   C’est grave pour la suite, car même s’il existe peut-être des variétés de blé possédant des barbes, c’est surtout l’orge qui est célèbre pour ses barbes. 风车 : La traductrice (félicitée par le professeur pour sa traduction) a remplacé mes « norias » par des « tarares ». Plus prudent, le collègue devait savoir que les paysans ne pouvaient pas laisser leurs tarares passer l’hiver pour pourrir dans les champs. Je n’insisterai pas sur d’autres détails qui me semblent discutables.
    Bref, je me suis permis de déranger un peu l’ordre des choses en ne collant pas mot pour mot au texte. Mon expérience (très longue) me permet de donner un conseil aux étudiants : « Quand vous faites une version, attention ! Le professeur est en embuscade. Une traduction lourde montrant que vous avez bien compris vous vaudra un « md » (mal dit), ce qui vaut mieux qu’un « cs » (contresens) » Je mérite des « md ». J’ai essayé de faire une introduction agréable à lire, j’ai réussi puisque l’éditeur l’a citée en présentation du livre. Des gens mal intentionnés sur ce blog accusent Philippe Picquier de je ne sais quels noirs desseins. C’est de la calomnie et de l’idiotie pure ! L’éditeur m’a fait confiance et j’assume la responsabilité de la traduction. Je voudrais savoir si les éditeurs des autres traducteurs (présents sur ce blog) ont à leur disposition un traducteur pour relire les traductions des traducteurs. Il semblerait aussi que certains proposent une formule mathématique pour évaluer une traduction : « texte français = texte chinois x 1,5 » en oubliant de préciser l’unité de mesure. Dans le cas du livre qui nous préoccupe, nous avons : Texte chinois : 30 caractères x 28 lignes x 267 pages (237 000 caractères selon l’éditeur). Texte français : 50 lettres x 33 lignes x 476 pages = 785 400 lettres. La formule est-elle respectée ? Ne connaissant pas l’unité de mesure, je suis incapable de répondre.
    Je ne crois pas, comme le déclarent certains que les écrivains chinois soient très à cheval sur les détails de style. Le contenu est pour eux plus important que la forme. D’ailleurs, quand je lis les commentaires de lecteurs chinois, je vois qu’ils critiquent surtout l’histoire et non la forme. D’autre part, excepté pour Lao She, j’ai toujours gardé le contact avec les auteurs que je traduisais et, plusieurs fois, je leur ai signalé des erreurs scientifiques ou chronologiques et ils m’ont toujours autoriser à les modifier comme bon me semblait. Je ne publierai pas les exemples car, contrairement à certains participants de ce blog, je n’éprouve pas le besoin de ridiculiser mes semblables pour montrer mon intelligence (au cas où j’en posséderais une).
    J’ai aimé ce livre car j’y ai retrouvé une atmosphère que j’ai un peu connue et je l’ai peut-être mieux compris que d’autres car j’étais abonné au Renmin Ribao au Renmin Huabao et d’autres journaux, ce qui m’a permis de comprendre ce que des plus jeunes que moi n’ont pas bien compris.
    Ici, se termine mon plaidoyer.
                                                                               Claude Payen (23 avril 2013)

vendredi 2 juillet 2010

Bangkok en fiction

(Bangkok. Source Google Maps)

Déjà signalée sur le site du Réseau-Asie, la sortie du livre de Louise Pichard-Bertaux est un événement que je suis heureux de relayer à mon tour.

Les habitués des travaux de notre équipe connaissent déjà cette spécialiste de la littérature thaïe qui livrait il y a peu une traduction d’une œuvre de Chart Korbjitti dans le premier numéro de notre revue en ligne Impressions d’Extrême-Orient.

Dans Ecrire Bangkok. La ville dans la nouvelle contemporaine en Thaïlande, Louise Pichard-Bertaux nous en offre dix fois plus, et plus encore :
« Ce livre est composé de deux parties : la première, « le livre et la ville », traite des aspects théoriques et analyse les textes, alors que la seconde, « les auteurs et leurs nouvelles », donne la biographie des cinq écrivains retenus et, pour la première fois, la traduction en français par l’auteur des dix nouvelles choisies, en texte intégral. Le lecteur peut donc commencer par les traductions ou ne s’y plonger qu’après en avoir lu l’analyse proposée. Selon ses centres d’intérêt personnels, il pourra ainsi décider de son approche.»
L’ouvrage de la « diplômée de l’INALCO en thaï et en birman, docteur en langues et littératures orientales, [qui] a vécu quatre ans à Bangkok où elle a enseigné le français [, et qui] depuis plus de vingt-cinq ans, parcourt cette ville dans tous ses recoins secrets, s’y perdant avec délices », a intégré « en 1994 le Centre national de la recherche scientifique comme ingénieur de recherche, et dirige aujourd’hui la bibliothèque « Asie du Sud-Est » de la Maison Asie-Pacifique (CNRS & Université de Provence), à Marseille », porte une préface de Jean Baffie, sociologue spécialiste de la Thaïlande, directeur de la Maison Asie-Pacifique (Marseille, CNRS et Université de Provence)

Il sort dans la collection « Sources d'Asie » dirigée par Pierre Le Roux et Bernard Sellatoaux Editions Connaissances et Savoirs (Paris).

On est bien entendu impatient de lire les 380 pages que cette chercheur associée à l’Institut de recherche sur le Sud-Est asiatique et à l’équipe LEO2T « Littératures d’Extrême-Orient : textes et traduction » (Université de Provence) a consacré à une littérature aussi surprenante qu’attachante.


Je profite de l’occasion pour vous signaler la tenue du « 2010 International Burma Studies Conference. Burma in the Era of Globalization » à l'Université de Provence, centre St Charles, Marseille, du 6 au 9 juillet. Pour prendre la mesure de l’événement qui se prépare, je vous invite à consulter le site qui lui est consacré. Il y sera, bien entendu, question également de littérature [voir ici, « Panel 24 »]. Souhaitons que Louise Pichard-Bertaux, qui collabore activement à l'organisation de cette manifestation, trouve d’ici la rentrée le temps de nous rendre compte de l’effervescence suscitée par un pays, la Birmanie, sur lequel nous savons encore si peu. (P.K.)

jeudi 1 juillet 2010

Renards et renardes à l'honneur

Créature vulpine à neuf queues
(Yuan Ke 袁珂, Shanhai jing jiaozhu. 山海經校注 Shanghai, Shanghai guji, 1986)

Henri Doré (1859-1931) dont on peut lire en ligne le Manuel des superstitions chinoises (1926) grâce à Pierre Palpant, est également l'auteur de Recherches sur les superstitions en Chine, somme en 18 volumes parus à Shanghai entre 1911 et 1938, que les Editions You Feng ont eu la bonne idée de rééditer voici 15 ans en lui ajoutant un index fort utile. Dans un de ses nombreux chapitres consacrés aux pratiques superstitieuses et qui traite des « Diables renards. Hou-li-tsing 狐狸精 » [vol. 4, pp. 461-465], le père jésuite écrit :
« Les païens prétendent que le diable, sous la figure d'un Hou-li 狐狸 renard, monstre mi-belette et mi-renard, apparaît très fréquemment dans leurs maisons. Cet animal mystérieux est, disent-ils, plus gros que la belette ordinaire, il a des oreilles d'homme, monte sur les toits, se promène sur les poutres, et jette la terreur dans les familles. Le jour il est invisible, c'est la nuit qu'il exécute ses mauvais tours. On redoute beaucoup cet animal diabolique, et les familles païennes dépensent de grosses sommes à faire mille superstitions pour se mettre à couvert de ses malversations. » (p. 461)
C'est à cette créature qui faisait encore trembler dans les campagnes chinoises au début du siècle précédent, que Solange Cruveillé a consacré une thèse dont il a déjà été question dans ce blog et qui lui a valu de recevoir le vendredi 18 juin dernier le Prix de thèse accordé par l'Association Française d'Etudes chinoises.

(M. Lu Ching-long, Solange Cruveillé, Gilles Guiheux)

Voici pour ceux qui, comme moi, n'ont pu assisté à la cérémonie le court discours prononcé par Solange avant de recevoir ce prix entièrement mérité :
« Le renard est un animal à la charge symbolique très forte dans de nombreuses cultures et littératures à travers le monde, et à mon humble avis - après plusieurs années de recherche sur le sujet - en Chine plus qu'ailleurs, ce qui pousse les sinologues actuels à parler d'une véritable « culture vulpine » en Chine. C'est donc un sujet qui méritait bien un petit travail de 500 pages...

L'histoire du renard dans les textes chinois est une histoire vieille de plus de 2500 ans, qui remonte donc à l'époque pré-impériale : de simple animal offrant chaleur et prestige à l'homme par sa fourrure, servant à l'interprétation des augures et à l'illustration d'idées philosophiques, il devient au fil des siècles une créature légendaire anthropophage puis un démon, notamment sous l'influence des alchimistes et des taoïstes, donnant lieu sous le premier millénaire de notre ère à d'innombrables récits de forme zhiguai, présentés pour une grande partie dans le Taiping guangji, ou Vaste recueil de l'ère de la Grande Paix, d'époque Song. Et j'en profite pour remercier, plus de 1000 ans plus tard, tous ces lettrés courageux qui ont couché par écrit les contes et légendes d'époque, ce qui a permis à cette riche culture de parvenir jusqu'à nous...

C'est l'apparition également du personnage de l'esprit-renard, un être doté du don de métamorphose, en quête d'immortalité et profondément intelligent. Sous la dynastie des Tang, la vénération se mêle à la crainte et on assiste à la naissance du culte en la divinité renard, culte considéré comme subversif et dangereux pour le pouvoir politique en place. Les histoires et les personnages de renards se diversifient pour donner naissance à de grands récits restés célèbres, jusqu'à la dynastie des Qing, où des écrivains comme Pu Songling et Ji Yun vont porter à son apogée l'art des contes vulpins et où le personnage séduisant de la renarde va prendre son envol. Le renard de ces contes et fictions s'humanise, jusqu'à devenir le masque de l'être humain, de la société et de ses préoccupations.

Vaste programme donc, résumé ici en quelques lignes, que l'Histoire du renard dans les textes chinois, de l'époque pré-impériale à la fin de la dynastie des Qing, de la démonisation à l'humanisation, de la légende à la fiction. Un long travail de recherche, de sélection, de traduction, d'analyse et d'interprétation, effectué selon une double optique diachronique et thématique, poursuivi sur plusieurs années,... mais qui mériterait encore d'être poursuivi et complété. Un travail réalisé avec le souci constant de mettre en avant la complexité et la nature ambivalente du renard dans la tradition et dans l'imaginaire chinois, un renard qui, pour reprendre les termes de Zhang Yinde, exerce sur l'homme « le double pouvoir de terreur et de fascination, si bien que l'homme vacille entre la diabolisation et la divinisation, entre le rejet et l'identification ».

C'est un sujet qui me tient à cœur depuis presque dix ans : il m'a accompagnée durant mon année de Maîtrise à l'Université de Provence, où j'ai pu « entrer en contact » avec le personnage de l'esprit-renard ; durant mon année d'étude à l'Ecole Normale de Beijing – Beijing shifan daxue - où j'ai pu trouver de nombreuses sources chinoises ; durant mon année de Master à l'Institut des Langues Etrangères de Xi'an – Xi'an waiguoyu xueyuan - où j'ai effectué une recherche sur le renard dans les expressions de la langue chinoise ancienne et moderne ; et enfin durant mes années de doctorat, toujours à l'Université de Provence, au cours desquelles j'ai écrit différents articles et participé à divers colloques pour partager le résultat de mes recherches, avec notamment un court compte-rendu dans le numéro XXVI d'Etudes Chinoises (2007).

J'ai donc essayé, tout au long de ma thèse, de transmettre au lecteur ma passion pour ce sujet de recherche, avec l'idée de revaloriser l'image du renard dans la tradition chinoise, pour lui redonner la place qu'il mérite et qui lui revient. C'est pour toutes ces raisons qu'en plus d'être honorée par l'attribution de ce prix, je suis également touchée, touchée que mon travail ait été reconnu mais surtout qu'il ait plu aux membres du jury qui ont eu la bienveillance de le lire.

Je remercie en conséquence l'Association Française d'Etudes Chinoises et son président M. Gilles Guiheux, pour ce prix de thèse qu'elle délivre chaque année, mais aussi pour sa grande contribution aux études chinoises. Je remercie le jury, qui a eu la lourde lâche de départager des thèses de qualité.

Je remercie M. Lu Ching-long, ambassadeur de Taipei en France, ainsi que M. Lee Shu-cheng, directeur du service culturel, pour la belle récompense qu'ils vont nous remettre... Je crois que c'est une belle façon de terminer ses études supérieures, et un bel encouragement pour poursuivre dans la voie de la recherche, ce que je tâcherai de faire en prenant mes nouvelles fonctions à l'Université Paul Valéry de Montpellier dès la rentrée prochaine.

Je remercie également mes professeurs, M. Pierre Kaser et M. Noël Dutrait, qui me suivent et m'accompagnent depuis plus de 10 ans, et qui ont su me transmettre leur goût de la culture chinoise en général, et de la littérature en particulier. Je crois qu'un bon étudiant n'est rien sans de bons professeurs.

Merci enfin à mes proches et amis, et tout particulièrement à mon conjoint, qui m'a supportée, dans tous les sens du terme, durant toutes mes années de doctorat.
Souhaitons à Solange une brillante carrière et, pour nous tous, qu'un éditeur offre une tribune à sa thèse qui, qualité rare, se lit comme un roman. (PK)

Complément du 24/07/10 - Lien vers un article en chinois sur la remise des prix paru sur http://times.hinet.net/ : 法國漢學研究多元開放 [中央社 / 2010/06/18] >> ici.

mardi 29 juin 2010

Gao, en haut, Mo, en bas

Encore une annonce, en attendant des billets au contenu plus riche, pour vous signaler deux rendez-vous : le premier en Normandie, le second en Aveyron.

Dans le cadre du Festival International de Cinéma de Vernon, « La Normandie et le Monde » qui se déroulera cette année du 1er au 4 juillet, sera projeté, Après le déluge de Gao Xingjian.

Cette projection aura lieu le vendredi 2 juillet, à 18h, au musée A.G.-Poulain de Vernon. Ce film, projeté dans le cadre de la thématique « L'Art et les artistes », sera accompagné d'un documentaire franco-polonais, Anton dans l'ombre de Julia Kowalski.


C’est le vendredi 20 août, à 10h45 précises que Noël Dutrait interviendra dans le cadre des Quinzièmes rencontres d'Aubrac, au cours d’une matinée consacrée au « Sentiment d’imposture » qui aura commencé 45 minutes plus tôt avec un échange entre Belinda Cannone, romancière, essayiste et Pierre Jourde, écrivain. Le thème abordé par le co-traducteur avec Liliane Dutrait des œuvres de Mo Yan est « Mo Yan, celui qui « ne parle pas »». Qu'on se le dise.