Vous avez sans doute remarqué que notre blog n'a pas publié de billet intitulé « Nouveauté(s) éditoriale(s) » depuis celui du 24/03/07. Sans doute, est-ce un manquement de ma part ou une distraction coupable, mais je n'ai rien trouvé concernant directement la littérature qui puisse en justifier la création : je vous présente - le cas échéant -, mes excuses pour le tort commis aux ouvrages non signalés, et mes encouragements à ceux qui voudraient combler ces lacunes ou compléter mes oublis : les portes et les fenêtres de ce blog leurs sont ouvertes.
Ce présent billet réalisé à la mi-temps de ce beau mois de mai s'impose à moi car la Chine se trouve, tout à coup, très présente sur les étals des libraires. Un rapide relevé fait apparaître une cinquantaine d'ouvrages parus ces dernières semaines ! J'en conserve ce qui m'apparaît être le nec plus ultra, savoir une édition revue et augmentée des Origines de la révolution chinoise : 1915-1949. (Lucien Bianco, Paris, Gallimard, « Folio histoire », 2007, 525 pages), Les paysans chinois d'aujourd'hui : trois années d'enquête au coeur de la Chine (Chen Guidi & Chun Tao, Bourin, « Document » , 2007), La Chine et la démocratie (Mireille Delmas-Marty & Pierre-Etienne Will (ed.), Fayard, 2007, 893 pages), La pensée en Chine aujourd'hui (Anne Cheng (ed.), Paris, Gallimard, « Folio/essais », n° 486), dont les sorties ont été dûment saluées dans plusieurs articles de presse. Je n'en dirai pas plus, mais il me semble qu'on peut faire le pari que les deux derniers devraient s'imposer rapidement comme des ouvrages de référence aussi indispensables que l'étude que Lucien Bianco livra pour la première fois en 1967.
Dans cette floraison de saison, la littérature n'est pas oubliée par les éditeurs, bien que, dirions-nous, sa présence se manifeste avec la plus grande modestie.
Notons pour le registre contemporain, la nouvelle édition du Chantier de Mo Yan 莫言, traduit par Chantal Chen-Andro qui voit le jour au Seuil dans la collection « Cadre vert ». M'est avis que l'auteur du Petit précis à l'usage de l'amateur de littérature chinoise contemporaine (Picquier), nous dira très prochainement si la traduction de Zhulu a, ou non, évolué depuis sa sortie initiale en 1993 chez Scanéditions, ce que je suis dans l'impossibilité de faire aujourd'hui.
Pour ce qui est de la littérature de la Chine ancienne, je m'empresse de signaler une autre réédition. Il s'agit d'un volume publié voici 20 ans déjà aux éditions Le Nyctalope (1987) sous le titre Les formes du vent. Paysages chinois en prose. Ce livre au format de poche reprend donc sous ce beau titre, la traduction par Martine Vallette-Hémery de cinquante courts textes en prose classique d'auteurs de différentes époques allant des Dynasties du Nord et du Sud comme Bao Zhao 鮑照 (414-466), à la dernière dynastie avec, notamment, des compositions de Yuan Mei 袁枚 (1716-1797). La plupart des 27 auteurs convoqués sont des inconnus pour le public francophone ; certains pourtant devraient évoquer des souvenirs aux plus assidus : outre Wang Wei 王維 (701-761) [Patrick Carré, Phébus, 2003], Su Shi 蘇軾 (1036-1101) [Jacques Pimpaneau, Picquier, 2003 ; Stéphane Feuillas, Caractères, 2004], Zhang Dai 張岱 (1597-1689) [B. Teboul-Wang, Gallimard, « Connaissance de l'Orient », 1995], Ouyang Xiu 歐陽修 (1007-1072) [Pierre Brière, Cazimi, 1997], on retrouve un des maîtres du genre du « paysage en prose », Yuan Hongdao 袁宏道 (1568-1623) auquel M. Vallette-Hémery avait déjà consacré une étude [Yuan Hongdao (1568-1610). Théorie et pratique littéraires, Collège de France/IHEC, 1982] et un recueil de traductions [Nuages et pierres, Picquier, 1997].
Depuis cette publication, M. Vallette-Hémery n'a cessé d'explorer avec une réussite égale et une remarquable persévérance ce registre très particulier du génie littéraire chinois, ou ses abords immédiats. On lui doit en plus des recueils déjà évoqués, la révélation d'anthologies d'apophtegmes fameux de lettrés de la fin des Ming, comme Hong Zicheng 洪自成 [Propos sur la racine des légumes, 1995], ou du début des Qing comme Zhang Chao 張潮 (1650 - ?) [L’ombre d’un rêve, 1997] toujours au catalogue des éditions Zulma, et plus récemment ceux de Wu Congxian 吳從先 [Vu par la petite fenêtre, 2005] aux Editions Bleu de Chine. N'oublions pas non plus le recueil publié chez Picquier autour des jardins chinois [Les paradis naturels, 2001] et que cette spécialiste de la prose classique ancienne a aussi abordé la littérature moderne avec toujours le même doigté et la justesse de ton (voir ici). On ne peut donc que se réjouir de pouvoir retrouver ce petit volume (180 pages) depuis longtemps indisponible, présenté, cette fois, sous une couverture dont le motif - un canard volant au dessus des roseaux - est emprunté au Vol solitaire du peintre Bian Shoumin 邊壽民 (1684-1752).
Petite mise en garde, néanmoins : il vous faudra sans doute chercher ces Formes du vent quelque part entre les écrits de Krishnamurti et, au mieux, les traductions du Laozi et le Confucius de Jean Lévi (n° 198 de la même collection), sinon fouiner dans le rayon des ouvrages touchant de près ou de loin au vaste champ qui s'étend entre religion et superstition, car les libraires - tout au moins celui chez qui je me suis rendu -, se fiant à l'intitulé de la collection, « Spiritualités vivantes », le détournent de sa destination naturelle : le champ littéraire, où il a sa place à proximité des ouvrages de poésie ----- il faudrait du reste expliquer aux libraires (sauf à ceux de la Librairie Le Phénix (Paris) qui fête ses 40 premières années d'existence, bien entendu) où ranger ces curiosités littéraires, ces « paysages en prose » qui constituent, dixit François Cheng, « un genre majeur dans lequel se sont illustrés les plus grands », et dont un des chefs-d'œuvre est sans doute le Xu Xiake youji 徐霞客游記 [Randonnées aux sites sublimes, Jacques Dars (trad.). Gallimard, « Connaissance de l'Orient », 1993] !
Le second ouvrage que je tiens à signaler aujourd'hui a bien failli m'échapper, car je l'ai d'abord pris pour une nouvelle édition, sous un titre à peine modifié, d'un ouvrage presque aussi ancien que Les formes du vent. Un coup d'œil aux deux couvertures en illustration de ce billet fera, mieux qu'un long discours, comprendre la cause de ma méprise momentanée :
• à gauche : la couverture de la réédition au format de poche de l'ouvrage Les 36 stratagèmes : Traité secret de stratégie chinoise. Traduit par François Kircher. Paris, J.-C. Lattès, 1991. Il s'agit, en l'occurrence, de la présentation retenue en 1995 chez Rivages pour sa collection « Rivages poche » (271 p.).• à droite : la couverture d'un tout récent volume (portant le n° 572) de la « Petite bibliothèque » de la collection « Rivages poche » des Editions Payot & Rivages. Son titre est : Les 36 stratagèmes. Manuel secret de l'art de la guerre. Traduit du chinois, présenté et commenté par Jean Lévi (287 p.)
On s'y tromperait à moins. On est, du reste, en droit de se demander si la ressemblance n'a pas été sciemment recherchée dans ce but ? Quoi qu'il en soit, la première traduction publiée est dorénavant - et ce depuis 2001 je crois -, éditée par les Editions du Rocher, dans la collection « L'art de la guerre ». On pourra donc comparer cette ancienne édition/traduction/commentaire des fameux Trente-Six Stratagèmes, avec la nouvelle édition/traduction/commentaire qu'en donne 15 ans plus tard l'infatigable et très prolifique Jean Lévi à qui l'on doit de pouvoir lire en français tant de choses et notamment un très percutant Hanfeizi 韓非子 [Le Seuil, « Points/Sagesses », n° 141, 1999], ainsi qu'un Zhuangzi 莊子 intégral [Paris, Encyclopédie des Nuisances, 2006]. C'est un exercice auquel je me livrerai avec délice dès que j'aurai remis la main sur un exemplaire de ce best-seller réalisé sous un pseudonyme qu'il ne m'appartient pas de percer. Pour l'heure, je vais me contenter de citer un court passage de la présentation donnée par Jean Lévi à son dernier opus, lequel me semble promis à un succès équivalent ou même supérieur à celui reçu par le Sunzi bingfa 孫子兵法 qu'il avait réalisé voici sept ans (Sun Tzu, L'art de la guerre. Hachette) :
Bonne découverte donc, et à un de ces prochains jours pour la confrontation du nouveau avec l'ancien. (P.K.)
Les 36 Stratagèmes est un livre mystérieux. Si mystérieux qu'on peut se demander s'il constitue réellement un livre. .../... Le traité des 36 Stratagèmes aujourd'hui en circulation daterait de la fin des Ming ou du début des Qing et émanerait de ce milieu des sociétés secrètes antimandchoues qui fleurirent durant cette période. En fait, si « secret » il y a, il s'agit d'un secret de polichinelle. La plupart des expressions qui servent d'intitulé aux différentes combinaisons constituant la liste des trente-six stratagèmes sont des dictons ou des proverbes archiconnus. Mais ce ne sont pas seulement les intitulés qui ressortissent à un fonds culturel universellement partagé, les illustrations fournies par le commentaire sont elles aussi des poncifs. Rien de mystérieux dans tout cela. De toute façon les véritables recettes secrètes ne se transmettent jamais par écrit, mais oralement de maître à disciple. Car, ainsi que le proclame Tchouang-tseu, le grand philosophe taoïste du IVe siècle avant notre ère : « Ce que n'ont pu transmettre oralement les anciens est bien mort et les livres ne sont que leurs déjections. » (p. 7-8)Les plus impatients de découvrir ces amusantes « déjections » pourront commencer leur formation sans tarder, par l'exploration online de ce texte grâce à l'excellente excroissance du site de l'Association Française des Professeurs de Chinois (AFPC), le Wengu zhixin 溫故知新 qui propose des classiques chinois en version originale et en traduction. Il fournit un accès au Sanshiliu ji 三十六計 qu'on peut lire avec l'assistance d'un dictionnaire en ligne et deux traductions (française et anglaise) en commençant ici.
Bonne découverte donc, et à un de ces prochains jours pour la confrontation du nouveau avec l'ancien. (P.K.)