jeudi 24 mai 2007

Broken english


Dans le cadre d'un spécial « Etonnants voyageurs », le magazine Télérama propose un article d'Olivier Pascal-Moussellard, intitulé « Les amants de la Tamise » qui présente certains des « Indiens, Jamaïcains, Chinois, [qui] issus d’un passé impérial ou de l'immigration, ont revififié la littérature anglaise. »

Il évoque notamment la jeune chinoise Guo Xiaolu 郭小橹 (1973-) :
Le joli succès rencontré depuis deux mois par la jeune romancière chinoise Xiaolu Guo confirme la pérennité de cette étrange fusion. Xiaolu habite Londres depuis quatre ans seulement. Pour elle, comme pour tant d’immigrés, la ville et la langue forment une seule et même forteresse : on s’y cogne, on s’y perd, on la maudit avant de trouver la clef. A concise Chinese-English Dictionary for lovers, son premier roman « londonien » (Xiaolu en a écrit d’autres en Chine), sonde l’extraordinaire bric-à-brac de sensations – angoisses, bonheurs et frustrations – qu’éprouve la jeune étrangère lâchée dans la gueule de Londres. Un roman d’initiation, une histoire d’amour, de sexe et de mots, qui rappelle parfois L’Attrape-cœurs de J. D. Salinger, un de ses romans favoris.

Une visite s’imposait. Aller chez Mrs. Guo, dans le quartier de Hackney, au nord de Londres, c’est prendre la même baffe que la narratrice, Mrs. Z., quand elle débarque sur les rives de la Tamise. Un air de no man’s land, des vitrines déprimantes, l’image furtive de trois musulmanes voilées de la tête aux pieds devant une boîte de strip-tease, et l’écriteau « Interdit de cracher » (en deux langues) accroché à chaque palier : un monde à part vraiment, un quasi-tiers-monde, à dix stations de métro et des années-lumière du palais de Buckingham. Les huit dictionnaires dispersés dans le salon de Xiaolu ne sont pas de trop pour apprendre à le décrypter et à le raconter : « Au début était le verbe, mais le verbe était tordu ! s’amuse la jeune femme en nous tendant une tasse de thé. Quand je suis arrivée, je n’employais qu’un seul temps, le présent, comme en Chine. Bonjour la confusion. Quant à Londres, je ne le connaissais qu’à travers des classiques, traduits de manière fantaisiste dans mon pays : Oliver Twist ne s’y appelle pas Twist, le texte est nettoyé de tous les jurons… j’ai dû tout reprendre de zéro. » Dur pour l’immigrée, mais passionnant pour l’écrivaine. Son « London », Xiaolu l’a décrit « comme ça venait » : en « broken english » – langue bancale, grammaticalement barbare mais riche d’étranges ful­gurances – que baragouinent les nouveaux immigrants (et qui rendra fou, à n’en pas douter, le traducteur français du livre). En plein dans le mille : A concise Chinese-English Dictionary for lovers se vend comme des petits pains.
On en saura encore plus sur Guo Xiaolu en consultant son site qui propose des textes, des photos, des films et des informations sur elle-même. On y apprend notamment que A Concise Chinese - English Dictionary for Lovers a déjà été traduit en italien [Piccolo Dizionario Cinese - Inglese per Innamorati. C. Capararo (trad.), Gènes, Rizzoli, 2007], et que sont en préparation des traductions en français, allemand, espagnol, finnois et polonais !

Pour l'heure, on peut lire de GUO Xiaolu, La Ville de Pierre, roman écrit en chinois et publié à Shanghai en 2003, traduit par Claude Payen aux Editions P. Picquier (2004) :
« Jiang Corail Rouge vit à Pékin avec son ami au rez-de-chaussée d'un immeuble de vingt-cinq étages. Mais elle ne peut oublier l'époque où elle avait sept ans et habitait Shitouzhen, la Ville de Pierre, un petit port battu par les typhons, dont les pêcheurs étaient des "mendiants de la mer ". Car elle y a enfoui en partant un terrible secret et, dit-elle, "rien ne peut se comparer à l'amour et la haine que j'ai éprouvés là-bas". »
Son prochain ouvrage (dont on peut lire un court extrait ici) sortira chez Random House en 2008. Il a pour titre 20 Fragments of a Ravenous Youth :
« A wounded body is when, after leaving a man you've lived with for three years, you curl up on your side of the bed as if there's still somebody there. That is a wounded body. Habit keeps you giving space to another body, where there is only emptiness. »
Tout un programme. Pour voir la couverture, cliquer ici. (P.K.)

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