Contrairement aux précédentes qui avaient laissé de marbre nos quelque 25 à 30 visiteurs quotidiens, cette devinette - la troisième de la série -, a reçu deux commentaires :
- un d'encouragement à persévérer - « 1000 mercis !, cher anonyme, vos vœux seront exaucés ! » (jusqu'à nouvel ordre).
- une proposition, qui plus est, juste ! Malheureusement, la gagnante n'a pas révélé son identité : sa modestie l'honore, mais elle se prive ainsi de la récompense prévue pour cet exploit [ce n'était du Mo Yan !], laquelle sera remise en jeu prochainement.
Bravo tout de même, car à la réflexion, ce n'était pas aussi simple que le faible niveau de difficulté indiqué (1/5) le laissait espérer. Jugez-en vous-même en découvrant la réponse.
Le passage était donc de la plume du grand Honoré de Balzac (1799-1850). La référence humoristique à Blois et au Blaisois, théâtre entre autres du Lys dans la vallée (voir notamment ici) et aux rousses (voir ici) pouvait mettre sur la piste. Mais, si le ton et le style étaient, me semble-t-il assez faciles à identifier, trouver l'œuvre exacte restait plus périlleux, d'autant qu'il s'agit bien d'un texte mineur récemment réédité dans :
Honoré de Balzac, Voyage de Paris à Java (1832) suivi d'une lettre de Tristram Nepos, d'une note d'Amédée Pichot et de la Chine et les Chinois (1842). Edition établie, préfacée et annotée par Patrick Maurus. Paris : Actes Sud, « Babel » n° 762, 2006. 173 pages.
L'extrait provient de La Chine et les Chinois (pp. 107-171) qui est la réunion de quatre articles parus entre le 14 et le 18 octobre 1842 dans les numéros 80 à 84 de La législature, journal des deux chambres, politique, commercial, industriel et littéraire créé en 1842 et dont la publication s'interrompit en décembre 1843. Comme l'indique P. Maurus, ce texte est « la longue critique descriptive » de La Chine et les Chinois, dessins exécutés d'après nature par Auguste Borget et lithographies à deux teintes par Eugène Ciceri auquel est associé un texte titré Explication des dessins qui sont en fait des Fragments de Lettres inédites de l'Auteur [Auguste Borget] depuis le jeudi 9 août 1838 jusqu'au 3 octobre de la même année. [Le passage proposé en devinette apparaît au début de la deuxième partie (publiée le 15/10/1842), soit p. 133]
Né en 1808, Auguste Borget meurt en 1877. C'est (dixit P. Maurus) « un des hommes qui comptent dans la vie de Balzac » (p. 109 et suivantes) lequel écrit à son sujet :
« Un Français en Chine ! un artiste ! un observateur !.. Qui est-ce ? Ah ! voilà.. C'est un garçon parti de la contrée la plus immobile et la moins progressive de France, un peintre de paysage né à Issoudun, en plein Berry. Parfois, le hasard se donne la tournure de l'impossible : c'est sa fatuité. Beaucoup de ceux qui me lisent vont s'écrier : - L'auteur n'est pas allé en Chine. Eh ! bien, il faut le dire, le Berry en doute encore, et bien des vieilles femmes y mourront sans vouloir croire qu'un Berrichon ait vu la Chine. » (p. 115)
L'illustration retenue le 16 mai est naturellement de lui, ce que ne cachait aucunement son titre 'Borget.jpg' et qui était un autre indice. Il s'agit d'un dessin au crayon sur papier, intitulé « Scène pour le théâtre de marionnettes – Macao » (1839-1840) qui est conservé à Bourges. Elle renvoie vaguement à un passage des pages 165-166 de La Chine et les Chinois, quand après avoir écrit que « Le premier missionnaire qui y pénétra y a trouvé la tragédie, la comédie, le roman. Voltaire, en imitant l'Orphelin de la Chine, nous a démontré que le théâtre Chinois repose sur les plus grandes idées politiques. La passion du Chinois pour le spectacle est égale à celle du Parisien », Balzac reproduit un passage des lettres de Borget :
« Si la comédie, si sévèrement défendue par nos prêtres, est non seulement tolérée par les bonzes, mais encore ils permettent aux théâtres, qui sont ambulants, de s'établir près des temples. Je vis une troupe dressant des bambous sur la grande esplanade, et bâtissant son théâtre, couvert de nattes, en face de la grande fenêtre ronde du temple, tournant dos à la mer. Les bonzes se tenaient constamment dans la cour du sanctuaire principal, jouissant du spectacle, tandis qu'ils fumaient la pipe. La sing-song, c'est le nom qu'on donne à ces fêtes, dura quinze jours, pendant lesquels l'esplanade offrit le spectacle le plus animé....»
Mais revenons à Balzac. Son intérêt pour la Chine ne commence pas avec le voyage de son ami. L'auteur de La comédie humaine profite de l'occasion pour révéler que « [S]on enfance a été bercée de la Chine et des Chinois par une personne chère qui adorait ce peuple étrange. Aussi, dès l'âge de quinze ans, avais-je lu le Père [Jean-Baptiste] du Halde [(1674-1743)], l'abbé [Jean-Baptiste] Grozier [pour Grosier], qui fut le prédécesseur de Charles Nodier à la Bibliothèque de l'Arsenal, et la plus grande partie des relations plus ou moins mensongères écrites sur la Chine ; enfin, je savais tout ce que l'on peut savoir théoriquement de la Chine. » Plus loin (p. 129), il écrit : « Malgré tous nos efforts et nos grands missionnaires, les pères [Ferdinand] Verbiest [(1623-1688)], [Dominique] Parennin (1665-1741)] et autres, nous ne savons pas encore, grâce à ce caméléonisme, si la Chine est un pays à gouvernement despotique ou à gouvernement constitutionnel, un pays plein de moralité ou un pays de fripons. Aussi, dès que j'appris l'arrivée en Chine d'un garçon sincère, me suis-je écrié : Enfin, nous allons savoir quelque chose ! » Plus loin encore, il s'appuie sur M. [Jean-Pierre] Abel Rémusat (1788-1832) et défend les « professeurs de la Bibliothèque Royale, si injustement soupçonnés de ne pas savoir le chinois » et de poursuivre : « M. A. Borget nous a expliqué cette erreur à l'avantage des mandarins de la rue Richelieu, en nous disant que le chinois parlé ne ressemble pas plus au chinois écrit que le bas-breton ne ressemble au français d'un discours de monsieur [Pierre-Nicolas] Berryer [(1757-1841)] ». (p. 116)
Donc, un conseil : lisez ce petit texte, prétexte à digressions savoureuses, qui, après quelque développements parfois douteux, s'achève sur la constatation qui nous tient toujours en haleine (p. 169-170) « que ce peuple vaut la peine d'être connu, étudié.»
Je reviendrais prochainement (ici ou ailleurs) sur l'apport de Borget à la connaissance de la Chine, mais je ne peux finir ce billet sans noter une des nombreuses perles que nous livre dans ce petit volume le grand Honoré de Balzac, lequel a - vous en conviendrez -, fort belle allure sur le daguerréotype servant d'illustration à ce billet ; il date de la même année (1842) :
« Ce n'est pas d'après sa durée, mais selon la quantité de bonheur qu'elle procure, qu'il faut juger de la vie. » (p. 136).Bientôt une nouvelle devinette - puisque vous le voulez ! (P.K.)
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