Source de l'illustration : kobai.co.kr
Avant un « Tang Xianzu ressuscité » que je vous promets depuis belle lurette, voici dans la même catégorie des ouvrages à ne pas manquer, un Zhu Xi 朱熹 (1130-1200) réanimé, revivifié, ou réactivé, dont le caractère entier nous a été [voici quatre ans maintenant !] rendu pour un usage contemporain :
Zhu Xi, Mémoire sur la situation de l'Empire (Wu-shen fengshi) 1188.
Traduit du chinois, présenté et annoté par Roger Darrobers.
Paris : Editions You Feng, 2008, 192 p.
L'ouvrage n'est plus tout neuf, je vous le concède. Il en avait été question, rappelez-vous, dans l’avant-dernière dernière devinette [021] présentée sur ce blog le 6 juin 2009. Mais, cette traduction du Wu-shen fengshi 戊申封事 est, sans conteste, un ouvrage de haute sinologie, c'est-à-dire un ouvrage savant, pointu et précis, mais qui sait aussi s'adresser avec la même clarté au non-spécialiste qui en tirera, s'il fait le premier pas, des enseignements quelle que soit sa curiosité initiale pour lui — le spécialiste, lui aussi, comblera ou complétera par sa lecture un pan de ses connaissances : l'un et l'autre y trouveront leur compte sans qu'à aucun moment ils n'aient rien à redire sur la méthode appliquée par le sinologue-traducteur — la seule réserve à formuler, réside dans l'absence des caractères, mais elle s'appliquerait de la même manière si l'ouvrage avait été publié dans une collection telle que « Connaissance de l'Orient » (il y avait assurément sa place) ; la seule façon de la faire tomber eut, sans doute, été de l'intégrer dans une de ces collections savantes, onéreuses et inconnue du public, telles que les publications de l'Ecole Française d'Extrême-Orient ou celles de l'Institut des Hautes Etudes chinoises. Le problème du choix par défaut des Editions You-Feng reste néanmoins entier : l'ouvrage ne sera guère mieux diffusé que les travaux estampillé "IHEC", ou "BEFEO" : il vous faudra sans aucun doute recourir à la commande directe sur le site de l'éditeur pour accéder à ses publications qui n'arrivent pas, ou pas souvent, dans les librairies non spécialisées — le bouche à oreille devrait compenser le manque de voilure de la diffusion. Néanmoins, que le lecteur se rassure, l'ouvrage se distingue des autres publications du libraire-éditeur parisien par une attention particulière portée au moindre détail : de la qualité du papier à la reliure ; tout — mise en page, choix de la police, notes de bas de page, etc. — , est finement agencé depuis la page de titre jusqu'au texte chinois reproduit en annexe.
Roger Darrobers n'en est pas à son coup d'essai. Les curieux ont déjà repéré que le discret Professeur de l'université Paris X-Nanterre, qui défendit, un temps, la culture française à Pékin, et écrivit si joliment sur cette ville (voir sur ce blog), avait inscrit à son tableau de chasse une bonne collection de traductions dont les dernières avait révélé au public français l'œuvre et la personnalité de Liu Xinwu 劉心武 (1942-) (Bleu de Chine) ; cette fois, c'est Zhu Xi avec un travail dans la lignée d'un plus ancien sur un texte de Kang Youwei 康有為 (1858-1927), Manifeste à l’Empereur adressé par les candidats au doctorat publié en 1996 (You-Feng, 198 p.), sur lequel j'avais eu l'occasion d'écrire : « On aurait bien du mal à trouver le moindre reproche à faire au maître d’œuvre de cet ouvrage qui brille par son excellence et son originalité. ... Sa traduction est aussi agréable à lire que précise et rigoureuse. On peut du reste juger de la rigueur qu’il a déployée en la confrontant au texte original fourni en appendice, confrontation qui convaincra de la difficulté à rendre en français une écriture érudite, couchée dans le sabir parfois opaque du lettré chinois. » Les compliments tiennent toujours même s’il ne s’agit plus du « deuxième des trois manifestes que le réformiste avait soumis à l’attention de l’empereur Guangxu 光緒 (r. 1875-1909), avant dernier souverain de la dynastie Mandchoue (Qing, 1644-1911) », mais du mémoire adressé, à son souverain, par un des penseurs chinois les plus importants après Confucius.
Mais de quoi parle donc ce texte et en quoi mérite-t-il d'être ressuscité plus de huit siècles après son apparition dans la Chine des Song du Sud ? Lisons des bribes de la longue et brillante introduction (pp. 9-52) : « [Le] Mémoire scellé de 1188 [est une] contribution majeure à la compréhension de la vie politique sous les Song du Sud. Long de quelque douze mille caractères en chinois, le Mémoire scellé de 1188 offre également une clé « fondamentale pour appréhender la pensée de Zhu Xi » [Shu Jingnan 束景南]» [...] Loin des spéculations abstraites ou d’une méditation visant à atteindre le salut individuel, la pensée de Zhu Xi répond ici à une finalité pragmatique, destinée à contribuer à un meilleur gouvernement, en exhortant l’empereur à se confronter à des préceptes moraux en contrôlant ses désirs et en renonçant pour une part à ses prérogatives régaliennes, autrement dit en récusant l’absolutisme. » [pp. 38-40] « Le Mémoire scellé de 1188 constitue [...] le texte le plus virulent et le plus engagé adressé au trône par Zhu Xi. Délaissant les points de détails techniques, présents dans ses textes antérieurs, il dresse un terrible réquisitoire contre l’incurie et la corruption de son temps. » [pp. 46-47]
Le contenu de ce manifeste garde tout son intérêt. Les souverains et gouvernants de nos jours auraient aussi bien besoin de leur Zhu Xi. Qu’ils lisent, à défaut, ce Mémoire sur la situation de l’Empire de toute urgence car il leur ouvrira la voie à une autre lecture qui vient juste de sortir :
Zhu Xi, Lu Jiuyuan,
Texte présenté, traduit et annoté par Roger Darrobers et Guillaume Dutournier.
Paris : Les Belles Lettres, « Bibliothèque chinoise », 2012, CXXII, 168 p.
Cette traduction du Zhu [Xi] Lu [Jiuyuan] Taiji zhi bian 朱[熹]陸[九淵]太極之辯, fera, un de ses jours prochains, l’objet d’un billet intitulé « Zhu Xi réactivé (2/2) ».
Mais avant d'en tourner les pages, je vous invite à relire mon extrait préféré du présent ouvrage :
« C'est lorsqu'on est authentiquement capable de commencer par le plus difficile, que le plus facile se réalise spontanément, sans qu'il soit nécessaire d'en parler. Refuser de commencer par le plus difficile, en souhaitant inopinément gagner le plus facile, fût-ce en en parlant sans cesse du matin au soir, se ramène à de vaines palabres, justes bonnes à satisfaire les idées du moment. »
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